Aujourd’hui, nous mesurons les conséquences de la surconsommation, et notamment de la fabrication en masse de nos vêtements. L’état des lieux de l’industrie textile est loin d’être irréprochable : en coulisses, l’ambiance est souvent moins lumineuse que sur papier glacé. Mais cette prise de conscience est indispensable : elle offre l’opportunité d’envisager l’avenir du textile sous un nouveau jour, plus respectueux de l’homme et de la planète. Sur le terrain, de nombreux acteurs du textile innovent et s’engagent sur le plan éthique. Pour les consommateurs, mieux connaître le revers de l’industrie textile, c’est faire un pas de plus vers le changement !
L’industrie textile : 7,8 milliards d’êtres humains à habiller
Quelques décennies ont suffi à bouleverser les modes de consommation et de production, y compris dans le secteur de l’habillement. L’émergence d’une “mode éphémère” a fait augmenter de manière exponentielle le calendrier annuel des collections de mode (tous secteurs confondus), initialement calqué sur celui des défilés de haute couture.
En sous-traitant à bas prix leur production dans des pays lointains, les enseignes grand public peuvent aujourd’hui proposer près de 52 collections par an. Ce flux continu de nouveautés permet à 7,8 milliards d’êtres humains de se vêtir, en leur offrant toujours plus de choix et de prix bas. Une aubaine pour nos budgets, mais cette surconsommation n’est pas sans conséquences.
L’industrie textile en 6 chiffres-clés
– 1,2 milliard de tonne de gaz à effet de serre émis par an (source : ADEME)
– Près de 100 milliards de vêtements confectionnés chaque année (source : ADEME)
– 50 millions de tonnes de filaments de fibres synthétiques produites par an (source : Textile network)
– 3e rang mondial pour la consommation d’eau (93 milliards de mètres cubes par an) (source : ONU (UNCTAD) )
– Jusqu’à 19 000 litres d’eau pour produire 1 kg de coton (la culture du coton est l’une des plus gourmandes en pesticides) (source : Trademachines)
– Dans les pays en voie de développement, encore trop de zones d’ombre autour des conditions de travail dans l’industrie textile.
La mode jetable, un concept remis en question
Le phénomène fast fashion s’est rapidement imposé comme une véritable manne pour les grandes enseignes occidentales et (il faut bien l’avouer) pour nos porte-monnaies. La délocalisation de l’industrie textile vers les pays en voie de développement a permis d’accélérer les rythmes de fabrication en tirant les coûts de production vers le bas.
Au final, la qualité de nos tenues s’en ressent : ces vêtements bon marché ont du mal à résister au temps qui passe et à un entretien régulier. Ils ne sont pas prévus pour durer, mais plutôt pour être renouvelés le plus souvent possible. On peut se demander si, à long terme, le renouvellement régulier de nos garde-robes ne réduit pas à néant les économies réalisées en achetant des pièces lowcost.
Le rythme effréné de ce “business model” pas tout à fait modèle pose problème. Son impact se ressent aussi au niveau social et environnemental. Les « petites mains » de la fast fashion, le règne animal et plus globalement l’ensemble de notre planète sont aussi victimes de l’emballement du textile.
Un bilan humain qui pousse au changement
En 2013, l’effondrement du Rana Plaza à Dacca (Bangladesh) entraînait la mort de 1 138 personnes, majoritairement des femmes employées dans des ateliers de confection. Cet événement a révélé au monde entier les conditions de travail de nombreux ouvriers du textile travaillant pour les géants mondiaux du prêt-à-porter.
Cette catastrophe a agi comme un électrochoc dans l’univers de la mode et du textile. Des collectifs se sont créés, initiant un mouvement pour une mode éthique et responsable, appelant parfois au boycott.
En réaction, les grandes chaînes de distribution ont affiché leur engagement moral, mettant en place de chartes éthiques pour plus de transparence. Les choses se sont améliorées, mais aujourd’hui encore, la complexité des filières d’approvisionnement permet rarement une réelle traçabilité.
L’industrie du luxe serait-elle plus vertueuse ? Pas forcément. Ses travers sont régulièrement épinglés par les médias et les associations, notamment par rapport aux conditions précaires de certains travailleurs, y compris en Europe.
Quelle est la différence entre mode éthique et mode durable ?
Un changement profond, progressif et réfléchi
Sur le plan humain, d’énormes changements s’imposent, mais les réponses sont loin d’être évidentes. Mettre en place les bases solides d’un monde plus équitable est un travail de longue haleine. O.N.G, organisations internationales et associations œuvrent chaque jour pour changer la donne, dans des contextes économiques et politiques complexes. On imagine quelles seraient les conséquences socio-économiques du boycott d’une industrie qui permet à des millions de travailleurs d’accéder à un revenu régulier, si minime soit-il… S’il semble impossible de révolutionner le système du jour au lendemain, les consommateurs savent désormais que leurs choix de consommation peuvent avoir un impact sur le parti-pris éthique des grands groupes de distribution.
Mieux gérer les ressources, la pollution et les déchets
La production massive de textile pèse sur la planète. Le poids environnemental d’un vêtement augmente tout au long de sa “vie” et même après : à chaque étape de production des matières premières, pendant sa transformation, son transport, puis à chaque lavage et en fin de vie, lorsque se pose la question de son recyclage.
Coton et polyester : les « mauvais élèves » de l’industrie textile
En tête des matériaux les plus utilisés dans l’industrie textile, on retrouve le coton et le polyester.
L’industrie textile est particulièrement gourmande en eau douce, surtout pour produire du coton. Il faut 2 500 litres d’eau pour fabriquer un t-shirt en coton (d’après Geo) et près de 11 000 litres pour produire un jean (selon Le Monde).
La culture du coton est également celle qui nécessite le plus de pesticides (10 % de la consommation mondiale selon l’OMS) et d’engrais, bien connus pour leur toxicité vis-à-vis de la santé et de l’environnement (pollution des nappes phréatiques, etc.)
Enfin, les fibres de coton sont blanchies au chlore, puis teintées à l’aide de métaux lourds. Les résidus sont ensuite rejetés dans la nature (plomb, chrome, mercure, cadmium…) Si les lois européennes réglementent l’utilisation de substances toxiques dans les usines textiles, les choses sont plus opaques dans les pays en voie de développement.
Mais le coton n’est pas le seul matériau qui nuit à notre environnement. Les processus de teinture et de traitement des textiles (tous types de fibres confondus) seraient responsables de 20 % de la pollution des eaux dans le monde (d’après Wedressfair).
Le textile, c’est aussi le polyester, très apprécié car pratique et peu coûteux. On en utilise des quantités vertigineuses : plus de 40 millions de tonnes chaque année (selon Textile network). Le polyester est un matériau synthétique issu de l’industrie du pétrole, réputée pour les émissions de CO2 qu’elle génère. Fabriquer tant de polyester entraîne la libération d’une énorme quantité de gaz à effet de serre. Paradoxalement, le polyester a aussi un gros avantage : il est facilement recyclable et peut lui-même être fabriqué à partir de matières recyclées.
Les solutions
De nombreux progrès restent à faire pour réduire la consommation d’eau et limiter la pollution. Une réglementation mondiale concernant l’utilisation de produits toxiques dans l’industrie textile n’est pas encore d’actualité. La bonne nouvelle, c’est que des solutions pertinentes voient le jour un peu partout dans le monde, aussi bien concernant l’irrigation des plantations que la transformation des matières premières ou la fabrication des vêtements…
La culture de coton biologique est encore anecdotique, mais elle existe et répond aux problèmes liés à l’emploi d’engrais et de pesticides. Dans plusieurs pays producteurs (Israël, Australie) les systèmes d’irrigation de certaines plantations ont été modernisés.
Dans certaines fabriques de textiles indiennes, on imagine des solutions de traitement des eaux usées pour remplacer l’eau douce par de l’eau de récupération. Quant aux fabricants de denim, ils envisagent de produire des jeans sans eau. En attendant, des marques comme Wrangler ou Uniqlo ont déjà mis au point de nouvelles techniques de lavage pour réduire drastiquement leurs besoins en eau et énergie, et la teinture végétale a le vent en poupe.
Sans surprise, les textiles les plus écoresponsables sont les matières naturelles biologiques (coton, lin, chanvre…) Certains labels attestent de modes de production respectueux de la nature et des hommes : le consommateur peut se tourner vers des matériaux dotés d’une certification environnementale fiable.
Côté fibres synthétiques, après le Lyocell et le Tencel, de nouvelles fibres encore plus « écolo » commencent à se faire remarquer sur le marché du textile (Fibres de lait, soja, maïs, algue…) Affaire à suivre !
Nos vêtements sont des globetrotters
La fast fashion se caractérise par la complexité des filières d’approvisionnement et le nombre de sous-traitants sollicités. Fabriquer un vêtement nécessite plusieurs étapes : production de matière première, filature, teinture, confection et enfin vente. Réduire les coûts implique que chaque opération soit réalisée dans le pays où les conditions d’approvisionnement sont les plus intéressantes. Il est donc fréquent que nos vêtements parcourent plusieurs dizaines de milliers de kilomètres avant d’atterrir sur nos cintres. Jamais le terme “délocalisation” n’a été aussi bien illustré ! L’empreinte carbone de ces trajets reste assez minime du fait de la petite taille des produits – qui voyagent la plupart du temps entassés dans des containers – mais elle pourrait être significativement réduite.
L’empreinte environnementale d’un vêtement qui fait le tour du monde
La solution
Consommer local dans la mesure du possible, se renseigner sur la traçabilité des vêtements, se méfier des prix de vente trop bas qui riment souvent avec un « éclatement » des phases de production.
Cap sur l’océan : moins de microparticules et de détergents
Entretenir ses vêtements, c’est important. On sait aujourd’hui que les textiles synthétiques perdent d’infimes particules à chaque lavage. Chaque année, l’équivalent de 50 milliards de bouteilles en plastique (d’après l’ADEME) s’éparpillent aux quatre coins du globe, au détriment de la faune et de la flore aquatique. Ces microfibres plastiques étant trop petites pour être filtrées, elles finissent donc dans les océans, avec les eaux usées. Celles-ci contiennent également des phosphates (l’ingrédient principal de nos détergents) et provoquent le déséquilibre d’un écosystème fragile.
La solution
En amont, on peut éviter d’acheter des vêtements synthétiques. Certaines marques ont aussi développé des traitements permettant d’espacer les lavages, de neutraliser les odeurs… Au quotidien, on peut aussi changer ses habitudes : rationaliser l’utilisation de son lave-linge, privilégier les lavages à basse température, délaisser le sèche-linge, utiliser des détergents écologiques…
Résoudre le problème de la fin de vie
Que deviennent tous ces vêtements lorsqu’ils ne sont plus utilisés ? Comme de nombreux déchets, ils finissent souvent dans des décharges ou sont incinérés. Les fibres textiles artificielles mettent plusieurs décennies pour se décomposer. Leur incinération entraîne le rejet d’une grande quantité de CO2 dans l’atmosphère. Le recyclage semble donc être la meilleure voie possible. Pourtant, en Europe, seuls 20 % des textiles sont recyclés (selon Euronews) : les deux-tiers sont destinés à être réutilisés, le reste est transformé en chiffons, matériaux isolants, etc.
La solution
Consommer moins et surtout mieux, limiter le gaspillage et faire du recyclage une habitude. Privilégier si possible les textiles biodégradables ou recyclables, les vêtements de bonne qualité pour les garder plus longtemps, et vérifier leur composition : plus elle est simple, plus le vêtement sera facile à recycler.
Et le bien-être animal ?
Les fibres peuvent être d’origine végétale, synthétique ou animale. L’industrie textile, c’est aussi le cuir, la laine, la soie, les plumes et la fourrure. La vie n’est pas rose dans les élevages : certaines espèces sont maltraitées pour prélever leur poil et leur laine (moutons, lapins et chèvres angoras, etc.), d’autres sont élevées dans le seul but de leur “faire la peau”. Bien que la mode tourne de plus en plus le dos à la fourrure, celle-ci est toujours utilisée. Les conditions d’obtention du cuir sont évidemment cruelles, nécessitant l’abattage de bêtes confinées dans des conditions parfois choquantes. 1 milliard d’animaux (d’après PETA) sont tués chaque année pour répondre à la demande de cuir.
La solution
S’informer sur l’origine des matériaux et faire confiance à certains labels (Responsible Down Standard pour les plumes et duvets, Responsible Woll Standard pour la laine, Naturleder pour le cuir…) Les marques vigilantes vis-à-vis des pratiques d’élevage de leurs fournisseurs sont de plus en plus nombreuses et méritent d’être mises en avant.
Il existe aujourd’hui de nombreuses alternatives aux matériaux d’origine animale. Le cuir vegan d’origine végétale (Pinatex, Apple Skin…) est une piste à explorer pour retrouver l’aspect du cuir sans culpabiliser.
Au-delà du constat, tous les espoirs sont permis
L’émergence de la fast fashion a cristallisé tous les excès de la société de consommation. L’industrie textile a besoin de repenser son fonctionnement en profondeur. De mieux en mieux informés, les consommateurs s’intéressent à l’éthique. Ils veulent savoir d’où viennent leurs vêtements, comment ils sont fabriqués et par qui, en toute transparence et semblent prêts à se fier aux labels et certifications, même si à l’heure actuelle tous ne se valent pas.
La slow fashion fait de plus en plus d’adeptes : nombre de créateurs et de fabricants optent d’ores et déjà pour des modes de production durables, équitables et communiquent de façon très claire à ce sujet. Cet engagement a un coût, forcément répercuté sur le prix de vente des vêtements et accessoires éthiques. En 2006, 21 % des français seulement considéraient ce surcoût légitime… Aujourd’hui, près de 2 français sur 3 affirment tenir compte des engagements en matière de développement durable lors d’un achat mode/textile, mais le frein principal reste toujours le prix (Sondage Ipsos et C&A 2019).
Conscientes des enjeux, grandes marques et distributeurs oscillent encore entre greenwashing et engagement sincère, mais on constate des avancées. Dans le secteur de la recherche et du développement textile, les idées fusent. Parmi elles, quelques inévitables « coups de comm' », mais aussi beaucoup de réelles innovations et de matières prometteuses qui ont besoin de temps pour confirmer leur potentiel et s’implanter durablement sur le marché du textile.
La transition vers une mode plus vertueuse est déjà amorcée. Elle nécessite avant tout du temps et de nombreux efforts de la part des professionnels du textile, mais sa réussite dépend aussi de la volonté des consommateurs.
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