photo ©Ever Dye
Grâce aux colorants biosourcés et à la teinture recyclée, il est désormais possible de colorer les fibres en limitant l’impact environnemental de cette opération. Un progrès qui s’avère nécessaire dans la branche de la teinture industrielle, l’une des plus polluantes de l’industrie textile.
Les dernières avancées s’appuient sur la science et plus précisément sur les biotechnologies contemporaines. Elles recourent à la chimie verte ou à la génomique et cherchent à alléger la consommation énergétique. Quelles sont les alternatives durables proposées par les biotechs et autres climate techs pour remplacer les colorants et procédés de teinture traditionnellement employés dans l’industrie textile ?
Les nouvelles teintures
Une teinture textile écoreponsable basée sur la polarisation (France)
Écologique, rapide, peu énergivore et compatible avec les infrastructures existantes, la solution innovante développée par Ever Dye repose sur les lois de la polarité, à savoir que le positif et le négatif s’attirent. Le procédé repose sur un prétraitement des fils ou textiles pendant leur blanchiment, afin de leur apporter une charge négative. Cette charge attire alors les pigments colorés – quant à eux chargés positivement – comme un aimant : ils n’ont plus qu’à aller se fixer naturellement sur les fibres.
Pour ce faire, Ever Dye utilise des pigments hybrides issus de déchets végétaux et de minéraux. Contrairement à la teinture classique, qui nécessite de chauffer l’eau à près de 100°C pendant de longues heures, ce procédé de teinture se déroule à température ambiante et l’ensemble du processus dure environ 1h30.
La startup fondée en 2021 a retenu l’attention du programme d’innovation Fashion for Good en 2022 et son procédé a déjà fait l’objet de tests sur site, au sein de l’usine de production de la marque Petit Bateau.
Des colorants biosourcés (France)
Déjà réputée pour son savoir-faire dans le domaine du vin, la France se lance sur la voie de la bioproduction de pigments. Cultiver des couleurs comme on brasse de la bière, c’est la spécialité de Pili et de Synovance, deux biotechs à l’origine de solutions de teinture entièrement biodégradables, garanties sans pétrole, qui ne génèrent aucun coproduit polluant. Les processus de fabrication développés par ces deux pépites françaises ne demandent que peu d’énergie car ils reposent sur un principe de fermentation industrielle faisant intervenir des micro-organismes génétiquement modifiés. Nourries avec du sucre extrait de déchets agricoles, ces bactéries deviennent des « usines biologiques », capables de produire des colorants biosourcés à partir d’une biomasse facilement disponible.
Les premiers produits voués à bénéficier de ce progrès seront vraisemblablement des jeans : la couleur indigo est déjà disponible, chez Pili comme chez Synovance.
Après une dizaine d’années de R&D, Synovance envisage de commercialiser très rapidement son bleu indigo. La production a d’ailleurs débuté dans une unité pilote installée en région parisienne. D’autres colorants durables sont à l’étude. Du rouge, du rose, du vert, du bleu azur et du violet, eux aussi issus de bactéries génétiquement modifiées devraient bientôt voir le jour. Certaines couleurs seront même dotées de vertus thérapeutiques (anti-inflammatoires, anti-microbiennes…) L’entreprise envisage en effet un large champ d’applications pour sa technologie : industrie textile, industrie alimentaire, produits pharmaceutiques, cosmétiques…
Pili a quant à elle amorcé sa transition vers une production à grande échelle : la startup toulousaine espère proposer sa première tonne d’indigo biosourcé dès 2024, avant de passer à la trichromie, déjà à l’étude en laboratoire. Les applications possibles concernent le textile, mais aussi la peinture, les encres, les revêtements, les matières plastiques…
©Pili
La teinture recyclée à partir de déchets textiles
Une seconde chance pour les fibres et leur teinture (Royaume-Uni)
Soutenue par le programme d’innovation Fashion for Good, Dye Recycle met la chimie verte au service de la circularité des couleurs et des textiles. Cette startup fait « d’une pierre deux coups » en s’attaquant à la fois à la pollution générée par la teinture et aux déchets textiles.
Le procédé Dye Recycle permet d’extraire les colorants des fibres usagées afin de les transférer sur de nouvelles pièces, sans ajout de teinture supplémentaire. Les fibres restantes sont beaucoup plus faciles à recycler après avoir été décolorées : une fois la couleur extraite, cette matière première blanchie repart pour une nouvelle vie. La technologie Dye Recycle peut aussi transformer les déchets textiles eux-mêmes en poudres colorantes. Le liquide utilisé durant le processus est, quant à lui, réutilisé en boucle.
La teinture recyclée issue de déchets pré/post-consommation (Suisse)
La technologie Fibercolors® développée par Archroma permet de produire de la couleur à partir de déchets textiles pré et post-consommation (fibres cellulosiques, polyamide et mélanges). Composée de 50 % de déchets textiles, la gamme Diresul® d’Archroma compte aujourd’hui 5 colorants naturels et intemporels : brun, ocre vert, bordeaux, gris bleu et gris foncé. Ces colorants ne sont pour l’instant adaptés qu’aux fibres cellulosiques (coton, viscose, lin, bambou, kapok…) et cette teinture recyclée est compatible avec la majorité des procédés actuels.
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Après la teinture biosourcée et la teinture recyclée, le retour des teintures naturelles ?
L’histoire de la teinture remonte au Néolithique. Bien avant l’invention de milliers de colorants de synthèse néfastes pour l’ensemble du monde vivant, les humains ont teint leurs textiles avec des colorants naturels d’origine végétale ou animale et ce jusqu’aux découvertes de la chimie moderne au XIXe siècle. En marge des innovations pressenties pour succéder aux colorants chimiques, cette troisième voie reste ouverte. À disposition, nombre de méthodes et de colorants allant de l’indigo naturel au « pastel des teinturiers » en passant par des procédés japonais traditionnels tels que la teinture à la boue (mud dyeing) ou le kakishibu (teinture de fruit issue du jus de kaki fermenté). On redécouvre les propriétés de plantes tinctoriales telles que l’hibiscus, la garance, le curcuma, le thé…
Bien que les teintures naturelles paraissent impossibles à mettre en oeuvre à grande échelle et qu’elles soient associées à des coûts de production élevés, elles n’ont vraisemblablement pas fini d’inspirer les créateurs. La piste des colorants naturels est essentiellement suivie par des marques « de niche », ciblant une clientèle prête à assumer les « défauts » de la teinture artisanale (imperfections, instabilité…) pour se démarquer avec des pièces authentiques et éthiques.
Malgré ces inconvénients, quelques géants de la fast fashion (Mango, H&M…) proposent régulièrement des collections capsules colorées à l’aide de pigments organiques et minéraux. Au-delà de toute considération marketing, la visibilité offerte aux teintures naturelles ne peut être qu’appréciable, en contribuant à sensibiliser un large éventail de consommateurs aux enjeux de la transition écologique dans le secteur de la mode.
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