©collection SS20 Vin+Omi en fibre d’ortie
Longtemps délaissée, la fibre d’ortie pique la curiosité et inspire la mode éco-responsable. Cette plante sauvage a tout d’une fibre durable, si bien que la réhabilitation de cette filière textile apparaît comme une piste d’avenir. Dans ce domaine, les recherches et les innovations vont bon train : quelques collections ont déjà été commercialisées, d’autres sont sur le point de l’être. Demain, nous serons peut-être vêtus de fibre d’ortie, une perspective loin d’être déplaisante !
L’ortie, une « mauvaise » herbe ?
Faute d’être utilisée pour sa fibre textile ou en tant qu’aliment, l’ortie a été longtemps considérée comme une mauvaise herbe urticante.
Pourtant, créateurs et professionnels de l’industrie textile s’intéressent de près au potentiel de cette indésirable. Il faut dire que sous son apparence revêche et son côté envahissant, l’ortie (Urtica) révèle un profil écologique qui répond aux attentes de la slow fashion.
Elle prolifère dans toutes les zones tempérées, sans pesticides ni engrais chimiques. C’est une plante vivace, qui peut être récoltée plusieurs fois par an, pendant des années. Elle produit une fibre textile solide, flexible, polyvalente et renouvelable.
Avec des arguments si convaincants, l’avenir de la fibre d’ortie dans la mode durable s’annonce radieux.
Quelles espèces d’orties produisent des fibres textiles ?
Parmi la trentaine d’espèces d’orties sur terre, trois peuvent produire des fibres textiles : l’ortie de Chine (ramie), les orties himalayennes et les orties européennes.
La ramie blanche ou ortie de Chine est originaire d’Asie. Cette variété d’ortie non urticante porte parfois le surnom de « soie végétale » en raison de ses longues fibres blanches, brillantes et soyeuses. Elle est toujours cultivée et produite artisanalement en Chine et au Japon. La fibre de ramie ressemble beaucoup à la fibre de lin, sans avoir les mêmes propriétés d’absorption. On l’utilise pour confectionner des textiles ou du papier.
L’ortie géante de l’Himalaya (aussi appelée Allo) est une variété asiatique rustique, haute de 2 à 3 mètres et très urticante. Elle produit des fibres très résistantes utilisées seules ou en mélange (avec de la ramie, du coton ou de la laine) qui permettent de fabriquer vestes, sacs, sangles, cordes ou filets.
En Europe, il existe 11 variétés d’orties. La grande ortie (Urtica Dioica, ortie dioique ou ortie commune) est la seule à être utilisée en tant que fibre textile. Avant d’être supplantée par la soie et le coton, la grande ortie européenne était aussi appréciée que le lin et le chanvre. Cette plante comestible a longtemps été cultivée en tant que plante fourragère et potagère, comme source de cellulose (pâte à papier) et comme fibre textile. On lui attribue également des vertus médicinales et elle est toujours employée comme engrais ou fertilisant.
Quelles sont les propriétés de la fibre d’ortie ?
La fibre d’ortie a des qualités remarquables : elle est très résistante, longue, souple et naturellement brillante. La tige d’ortie est creuse, remplie d’air, ses fibres peuvent donc être travaillées très « serrées » pour fabriquer des textiles frais et légers, ou plus « lâches » pour offrir une bonne isolation thermique. Les propriétés d’un tissu en fibre d’orties varient selon les méthodes de filage et de tissage employées, et cette polyvalence est un atout supplémentaire.
Un vêtement en fibre d’ortie, ça pique ?
Bien que les tiges et les feuilles de la plupart des orties soient hérissées de poils urticants, les fibres d’orties sont douces et soyeuses. Cette caractéristique désagréable disparaît en faisant bouillir la plante ou après séchage. De plus, les fibres d’orties sont extraites des tiges et non des feuilles, ce qui élimine une grande partie du problème. Leur traitement après récolte (rouissage, ébouillantage, battage, séchage…) ne laisse aucune chance aux fibres d’être irritantes. Au final, porter un vêtement en fibres d’orties est une expérience particulièrement agréable !
Collection jeans 100 % fibres d’orties Emanuel Lang – photo ©Radio France / Hélène Chevallier
L’avenir de la fibre d’ortie
Des exemples innovants et inspirants
En 2017, Pierre Schmitt, dirigeant de la société Emanuel Lang, groupe Velcorex, a décidé de remettre à la mode la fibre d’ortie. Les premiers prototypes de jeans 100 % fibres d’orties ont été présentés lors du salon Première Vision. Ils ont été suivis par une collection d’une centaines de pièces, certifiées par le label France Terre Textile et commercialisées en 2018.
En 2019, le duo de créateurs Vin+Omi a présenté une collection complète de créations écologiques intitulée « Sting » avec, entres autres, des déchets d’orties. Les robes et manteaux présentés sur le podium ont prouvé que cette plante banale avait l’esprit créatif et une indéniable élégance. Pour l’anecdote, cette collection reposait sur un partenariat surprenant : les orties utilisées et autres plantes recyclées provenaient des jardins du Prince Charles… de quoi faire gagner une belle valeur ajoutée aux pièces proposées !
Une filière à réinventer
Aujourd’hui, les envies et les idées fleurissent, mais elles manquent de fournisseurs en France et en Europe. La fibre d’ortie a vraisemblablement un bel avenir devant elle, assez pour justifier que la « remise en marche » de cette filière soit à l’étude. Cela implique la création de structures capables d’assurer la production et la transformation de la fibre d’ortie à grande échelle et de manière durable.
Les techniques et savoirs-faire nécessitent d’être actualisés pour permettre le développement d’une industrie porteuse de projets pérennes et, pourquoi pas, de nouveaux débouchés. C’est l’objectif du programme NEWFIBRE, un projet lorrain de recherche et de développement mené par 4 laboratoires de recherche publique et 4 PME ayant pour objectif de redynamiser la culture et la transformation de l’ortie en Lorraine.
En attendant, les plus curieux peuvent s’essayer à la fabrication de fibre d’ortie en suivant cette méthode artisanale, mais attention : qui s’y frotte s’y pique !
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