Saviez-vous que la fabrication du ruban a signé les débuts de la mécanisation de l’industrie textile ? En France, l’histoire du ruban de mode est étroitement liée à celle de la ville de Saint-Etienne. C’est sur le territoire stéphanois que la rubanerie, appelée la « Fabrique » s’est implantée, développant au fil des siècles un savoir-faire textile unique en la matière. Depuis, ces petites bandes de tissu traversent les modes et les époques. À l’origine composé de soie, le ruban se décline dans de multiples matières et s’exporte dans le monde entier. Histoire, machines, utilisation, fabricants… Textile Addict vous dit tout sur le « beau ruban » et l’art de la rubanerie.
Comment se définit le ruban ?
De manière générale, un ruban se définit comme une « mince et étroite pièce de tissu bordée d’un liseré visible« . Comme d’autres tissus, sa fabrication est basée sur le principe d’un croisement chaîne et trame continue, effectué à l’aide d’un métier à tisser.
(A lire: Le tissage)
Encore aujourd’hui, l’accent est mis sur les « signes distinctifs » du ruban : technique de fabrication, aspect plat et étroit, lisières solides et parfois ouvragées en bordure… Au XIXe siècle, pour l’ensemble de la profession rubanière, la qualité d’un ruban dépendait aussi des fils employés pour son tissage. Les rubans haut de gamme étaient obtenus à partir de fils de soie préalablement teintés, les rubans de qualité inférieure étant teints une fois tissés.
À l’heure actuelle, d’un point de vue juridique, les critères qui permettent de classer une étoffe dans la catégorie sangles et rubans textiles sont adaptés à la diversification du marché : « articles tissés d’une largeur inférieure ou égale à 35 cm, à section rectangulaire, à structure plate ou tubulaire, à base de fibres naturelles ou mélangées. Elles peuvent contenir également des fibres élasthanne, on emploie alors le terme de sangle élastique ». (Source)
© collection Musée d’art et d’industrie de St Etienne // détails d’un ensemble 3 pièces en maille avec applications de broderie en ruban gros-grain, Maison Galante, coll PE 2006 © collection Musée d’art et d’industrie de St Etienne – Gil Lebois
Les différents types d’utilisation du ruban
Haute-couture, prêt-à-porter, ameublement, décoration, packaging, étiquetage, promotion ou embellissement, santé, sport… Utile ou futile, parfois les deux à la fois, le ruban est partout ! Ses caractéristiques (longueur, solidité, petites dimensions, possibilités de personnalisation) et la grande variété de fibres disponibles lui permettent d’être utilisé en comme accessoire d’ornement ou utilitaire.
Bien que son rôle soit souvent d’enjoliver, le ruban ne se cantonne pas à l’univers de la mode, de la décoration et de l’emballage : il peut aussi maintenir, communiquer, identifier et informer, voire distinguer ou récompenser. Grâce à la technologie RFID, le ruban peut même être connecté !
La grande famille du ruban comprend donc différents types de produits :
- Rubans de mode (ornements et accessoires textiles, ruban jacquard décoratif…)
- Rubans de décoration (packaging textile, rubans de médailles, décorations civiles ou militaires, écharpes et rubans pour ordres et honneurs…)
- Objets textiles de promotion et d’image (gifts : bracelets, bijoux de sac, etc.)
- Étiquettes, identifiants textiles (marques, labels, informations, traçabilité…)
- Sangles, rubans techniques, fermetures auto-agrippantes
- Ruban élastique (lingerie, etc.)
- Passementerie d’ameublement
- Textiles à usage médical et sportif : bandes de gaze, accessoires orthopédiques de maintien ou de contention (ceintures lombaires, bas…), orthèses ou protections de sport.
Le ruban, un petit morceau de tissu qui a une longue histoire
L’existence du ruban en tant qu’accessoire d’ornement remonte à l’Antiquité, mais le ruban tel que nous le connaissons a vraisemblablement été importé d’Italie au cours de la Renaissance, en même temps que la soie et les premiers métiers à tisser mécaniques.
En France, le règne de François 1er voit se développer l’art de la rubanerie (industrie et commerce du ruban) à Lyon, Saint-Etienne et dans les campagnes de la région stéphanoise, sous l’influence des Soyeux lyonnais. Au départ, le ruban de soie est un accessoire précieux, essentiellement décoratif, au même titre que les galons, passements (broderies, cordonnets) et dentelles. Il se distingue ainsi des rubans courants ou utilitaires en lin et/ou en coton développés en Normandie ou en Belgique.
Durant tout le XVIIe siècle, de nombreux travailleurs se spécialisent dans le tissage de ces accessoires en soie prisés par les Précieuses de l’époque, et très utilisés pour orner vêtements et éléments de décoration liturgiques. La profession s’organise peu à peu : la corporation des rubaniers dite de la « Petite Navette » est créée en 1630, toujours sous la tutelle des marchands de soie de Lyon et de la « Grande Navette » lyonnaise. Les tisseurs prennent le nom de passementiers, rubandiers ou encore tissotiers en soie.
À la fin du XVIIIe siècle, la région stéphanoise compte plus de 15 000 métiers à tisser et 26 600 passementiers. La rubanerie – que l’on nomme la « Fabrique » – est en pleine expansion. Elle nécessite le travail des passementiers, qui oeuvrent en famille à domicile et celui des fabricants, qui assurent le rôle de négociants et fournissent à la fois le matériel et le travail aux passementiers.
copie de 1659 : Pourpoint en soie. Les Précieuses ridicules 1993, collection Comédie-Française ©Pascal François // 1860 : Capote en paille cousue garnie de rubans en soie façonnés ©collection Le Paon de Soie // 1900 : Corset, sans griffre, composé par l’entrelacement de rubans de soie, baleine gainé de rubans de soie ©Collection Le Paon de Soie // 1996 : Collection Huate couture PE ©Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent – photo Guy Marineau
C’est au cours du XIXe siècle, sur fond de révolution industrielle et de révolte des Canuts, que la rubanerie connaît ses plus belles heures de gloire, grâce à l’engouement des belles élégantes pour les ornements en soie raffinés. Le ruban de mode évolue suite à la mise en place de la mécanique jacquard. Il contribue à la prospérité des fabricants et fournit du travail à de nombreuses familles de passementiers. Les fabriques s’établissent dans des locaux de grandes dimensions pour pouvoir accueillir les imposants métiers à tisser. L’ensemble de la corporation vit au rythme de la mode et de ses caprices, créant sans cesse des « nouveautés ». Façonnés, brochés, les rubans sont la folie du moment, embellissant tenues et chapeaux. Le métier jacquard, dont la mécanique a pu être adaptée au métier de ruban, permet désormais de travailler les rubans en délicats motifs multicolores.
Le XIXe siècle est aussi propice aux délires créatifs qu’à une recherche constante de qualité mais l’activité est irrégulière : elle alterne entre périodes fastes (la « presse« ) et périodes creuses (la « morte« ). Le regroupement de nombreux ateliers dans des usines implantées en ville et l’attrait d’une clientèle grandissante pour une rubanerie meilleur marché perturbent l’organisation de la rubanerie, créant peu à peu des clivages au sein de la Fabrique.
À l’aube du XXe siècle, le ruban passe du statut d’accessoire « indispensable » au simple rang d’accessoire. Pour une grande partie de la production stéphanoise, la qualité est mise de côté afin d’économiser sur les coûts de production. La soie est délaissée au profit de la soie mélangée, puis de la soie artificielle. Déstabilisée par deux Guerres Mondiales, la crise de 1930 et l’émergence de nouvelles machines onéreuses, la Fabrique doit se réorganiser. Les années 1960 et l’informatisation des machines sonnent définitivement le glas des ateliers à domicile et des petites unités de production. De nombreuses maisons élargissent leur champ d’activité en mettant leur expertise au service de nouveaux produits (sangles, étiquettes, tissus et bandes élastiques destinés à un usage sportif ou médical…) ou en se tournant vers le tissu et la soierie.
Après avoir relevé le défi de s’adapter au progrès, plusieurs maisons renommées de la région de Saint-Étienne se sont diversifiées, quelques-unes se sont spécialisées dans le ruban de luxe (Julien Faure, Neyret), d’autres ont bâti leur succès sur leur reconversion, s’appuyant sur leur savoir-faire pour la fabrication de textiles techniques et industriels (Thuasne) ou de soieries (Bélinac). La Fabrique n’est plus depuis longtemps, mais l’état d’esprit n’a pas changé et l’héritage des maîtres passementiers du XIXe siècle perdure dans l’industrie rubanière stéphanoise. Toujours aussi créative, elle a remis la fiabilité et la qualité de ses produits en avant sans tourner le dos à l’innovation, des valeurs qui lui permettent de rayonner à l’international tout en suivant l’adage « faire peu, mais bien ».
Vue du personnel de l’usine Villard-Doron par Georges Martinier, Saint-Etienne, vers 1950-1960 ©Musée d’art et d’industrie de St Etienne
Les machines à tisser le ruban, du métier manuel à l’ère numérique
Les premiers rubans de soie unis sont tissés au début du XVIe siècle sur des métiers de basse-lisse au fonctionnement très simple et entièrement manuels.
En parallèle, les métiers de haute-lisse, beaucoup plus complexes, permettent de tisser des rubans façonnés, toujours à l’unité.
Au XVIIe siècle, l’invention du métier à tisser « à la zurichoise » (aussi appelé « métier à la barre« ) change la donne. Il permet de confectionner simultanément entre 16 et 40 rubans unis sur le même métier. Le développement du ruban est favorisé par ce nouveau procédé mécanique considéré comme la première machine « automatique ».
En 1815, la mécanique Jacquard voit le jour : ce système basé sur l’utilisation de cartes perforées est immédiatement adapté au métier à la barre. Le procédé évolue rapidement grâce à l’ajout de plusieurs navettes qui permettent de créer des brochés, d’utiliser plusieurs couleurs sur un même ruban et de créer des motifs complexes. Ces nouveaux métiers à tisser à la barre ont des dimensions conséquentes. Une cinquantaine d’entre eux sont encore fonctionnels et certains sont toujours utilisés pour confectionner des pièces haut de gamme de façon traditionnelle.
extrait du catalogue d’un constructeur de métiers à rubans Barmen, Allemagne vers 1920 ©Musée d’art et d’industrie de St Etienne
À partir de 1950, les machines s’adaptent aux besoins du marché pour gagner en vitesse, et donc en productivité. Le métier à aiguille apparaît : il est 40 fois plus rapide qu’un métier à la barre, mais reste incompatible avec certains types de rubans techniques ou haut de gamme.
Dans les années 1980, les possibilités offertes par l’informatique révolutionnent le mécanisme Jacquard : les outils numériques remplacent les cartons perforés.
métiers à tisser le ruban ©Musée d’art et d’industrie de St Etienne – Charlotte Pierot
Aujourd’hui, ce type de machines offre à la fois une grande rapidité d’exécution, une qualité d’ouvrage similaire à celle des métiers à la barre, et même la possibilité d’un tissage tridimensionnel avec des logiciels textiles 3D.
Pour connaître tous les petits secrets de la mécanique des anciens métiers à tisser le ruban, rendez-vous ici.
Les principaux producteurs de la région stéphanoise encore en activité
Dans le bassin stéphanois, 3000 personnes travaillent encore dans le secteur de la rubanerie, au sein d’une cinquantaine d’entreprises parmi lesquelles on retrouve :
- A.J. Biais (Biais et galons fantaisie)
- Bélinac (Textiles habillement et ameublement, soieries)
- Berthéas (Tissus élastiques médical/sport)
- Cardial-Lemaître (Matériel médical et chirurgical)
- STN Tressage (ex-Cheynet & Fils / Élastique, sangles et rubans)
- Effet Passementeries (Tresses, cordons, galons et rubans mode, textile et décoration)
- Fontanille Scop (Dentelles et rubans élastiques)
- Julien Faure (Créateur de rubans haute-couture et sur-mesure)
- Gibaud (Textiles de soins médicaux)
- Manutex (Rubanerie, articles textiles tressés et tissés)
- Neyret (Rubans, étiquettes et accessoires textiles de luxe)
- Odea (Textile paramédical, lingerie et maillots de bain, confection)
- Richard Frères (textile médical)
- Santex (Rubans et accessoires décoratifs)
- Satab (Textiles étroits pour la mode, le packaging, la décoration, l’industrie ou la santé)
- Seram (Rubans et accessoires décoratifs)
- Sigvaris (Matériel de compression médicale)
- Thuasne (Matériel de maintien et de contention médicale, sous-vêtements et orthèses de sport)
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