L’histoire de la chaussette

histoire chaussettes textileaddict

Jean-François Millet – The Knitting Lesson – 106-1939 – Saint Louis Art Museum

 

La chaussette, c’est le pied. En escarpins, en baskets ou même en claquettes, elle sait aussi bien rester discrètement camouflée dans nos chaussures qu’attirer malicieusement les regards. Les petits comme les grands petons apprécient son confort, sa chaleur et sa fantaisie. On la porte partout, toute l’année, sans même se douter que derrière ce petit tube de tricot si pratique se cache un accessoire plus révolutionnaire qu’on ne le croit… Mais depuis quand porte-t-on des chaussettes et qui a eu la bonne idée de les inventer ?

 

 

Aux origines de la chaussette

La Préhistoire de la chaussette

La version alpha des socquettes était-elle en fourrure, en peau de bête ou en fibres végétales ? Nul ne le sait car la « préhistoire de la chaussette » n’a laissé derrière elle quasiment aucune trace exploitable.

En revanche, nos ancêtres ont probablement compris très tôt qu’il était nécessaire de protéger leurs pieds, ces membres particulièrement exposés au froid, aux blessures et aux souillures. On imagine d’ailleurs que leurs besoins différaient selon l’environnement dans lequel ils évoluaient, et que les solutions pour y répondre dépendaient des ressources disponibles. En témoigne par exemple la momie d’Ötzi (3300 av. J.-C.), un homme préhistorique équipé de chaussures en cuir et fibres végétales pour arpenter les sommets enneigés des Alpes. À l’intérieur de ses souliers rudimentaires, point de chaussettes, mais une bonne couche de paille pour isoler du froid. Les prémices de la chaussette ?

 

Un accessoire déjà porté dans l’Antiquité

Les premières traces concrètes de l’existence de la chaussette datent de l’Antiquité. Des fouilles archéologiques font état de sa présence en Europe et au Moyen-Orient. On sait ainsi que les Syriens portaient des chaussettes environ 2 000 ans avant notre ère. Ces « protochaussettes » étaient assez différentes de celles que l’on connaît aujourd’hui. Elles n’étaient pas encore tricotées et ressemblaient plutôt à des sacs constitués de bandes de textile cousues. Des fragments de chaussettes un peu plus récents ont également été retrouvés dans les Alpes autrichiennes (culture de Hallstatt) et au Danemark.

Dans le désert égyptien (carrière de Mons Claudianus), des fragments de chaussettes ont été retrouvés parmi une foule de déchets textiles datés d’entre le Ier et le IIe siècle après J.-C. En fouillant des tombeaux sur le site d’Antinoupolis, des égyptologues ont également mis à jour de nombreux vêtements et étoffes fabriqués entre le IVe et le VIIe siècle. Parmi ces vestiges se trouvaient des chaussettes rayées en mailles, tricotées au « point copte » (aussi nommé « Nalebinding ») d’après une technique ancestrale ne nécessitant qu’une seule aiguille. À l’époque, en cet endroit du monde, la chaussette – déjà extensible – se portait avec des sandales, comme laisse penser sa pointe divisée en deux compartiments destinés à accueillir les orteils.

 

 

La chaussette, une « petite chausse »

 

Jusqu’à la fin du Moyen-âge, on ne parle pas encore de chaussettes. Au XIIIe siècle, en Europe, l’élément vestimentaire ajusté qui couvre le bas du corps se nomme « chausse ». Cette pièce essentielle du vestiaire masculin de l’époque habille d’ailleurs la totalité de la jambe, des pieds jusqu’à la taille.

Jusqu’au XIVe siècle, les chausses se portent toujours par paire. Elles se composent généralement de deux pièces complémentaires :

– les hauts-de-chausses (de la taille au genou) qui ont « fusionné » au XVe siècle pour former un vêtement d’une seule pièce, à la façon d’un collant ou d’un legging. Ils ont aussi donné naissance à la culotte au XVIIIe siècle, dont nous reparlerons plus bas, puis au pantalon que l’on connaît.

– les bas ou bas-de-chausses (des genoux jusqu’aux pieds), qui ont continué à être portés par paires, devenant ainsi les ancêtres des bas et des premières vraies chaussettes.

Dérivés du nom « chausse », les termes « chalcette » puis « cauchette » sont apparus entre le XIIe siècle et le XIIIe siècle, devenant « chaucete » à la fin du XVe siècle. Les chaussettes sont donc littéralement de « petites chausses ». Au XVIIe siècle, elles étaient des « bas de soie que l’on met sur la chair » comme indique leur définition datant de 1694.

 

 

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L’invention de la machine à tricoter… des bas

 

L’histoire de la machine à tricoter est intimement liée à celle des chaussettes. C’est au révérend anglais William Lee que l’on attribue l’invention du tricot mécanique, une petite révolution qui va conduire à l’industrialisation de la bonneterie à partir du XVIIe siècle.

À l’époque, le bas de soie tricoté est un article luxueux et très prisé par les nantis, plus confortable mais aussi plus coûteux que le bas cousu. Le tricotage de ces bas s’effectue uniquement à la main. Il nécessite énormément de main d’oeuvre et fait vivre de nombreux travailleurs.

Dans ce contexte, l’invention du premier métier à tricoter des mailles par William Lee en 1589 est très mal accueillie. Aussi bien par les bonnetiers et leurs artisans, inquiets pour leur avenir, que par la Reine Elisabeth I elle-même. Déçue par la qualité médiocre des pièces produites en laine et à la machine, peu encline à démocratiser le port de bas tricotés et soucieuse de permettre à ses sujets de conserver leur gagne-pain, celle-ci lui refuse les brevets qui lui auraient permis d’exploiter sa technologie.

William Lee améliore donc sa machine, mais il s’installe en France, dans un climat commercial plus propice au développement du projet. La première manufacture de tricot, bien évidemment consacrée à la production de bas, ouvre ses portes à Rouen en 1610. Le succès est au rendez-vous, mais ne dure pas : les tensions politico-religieuses et la pression des bonnetiers français poussent Lee à retourner en Angleterre.

Beaucoup mieux perçu désormais, le tricot « industriel » déploie finalement ses ailes Outre-Manche. Plusieurs manufactures sont créées à Nottingham mais cette fois, plus question de laisser cette innovation retourner en France, du moins pour l’instant. Il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour que le métier à tricoter des bas réapparaisse dans l’Hexagone, sous l’impulsion d’un certain Jean Hindret. Il en profite pour le perfectionner et crée la première manufacture de bas de soie à Neuilly-sur-Seine.

 

 

1789 : une Révolution française sans-culotte, mais en chaussettes

 

Au XVIIIe siècle, sans en avoir l’air, les chaussettes deviennent un symbole de la Révolution. Refusant délibérément de porter les mêmes vêtements que l’aristocratie, les « sans-culotte » doivent leur nom à un choix vestimentaire engagé, qui consistait à adopter le pantalon en lieu et place des chausses. Et puisque la technologie le permettait, ce pantalon s’accompagnait systématiquement de chaussettes s’arrêtant à mi-mollet, destinées à remplacer les traditionnels bas. Un détail de l’histoire qui pousse à regarder ses chaussettes d’un autre oeil, plus de deux siècles plus tard…

 

 

La chaussette moderne, héritière du métier à tricoter circulaire

 

Au début du XIXe siècle, la Révolution industrielle et la mise au point du métier circulaire permettent à la chaussette de faire un bond en avant. Il est désormais possible de tricoter des pièces tubulaires, sans couture ou presque et de fabriquer à grande échelle en minimisant la main d’oeuvre. Les coûts de production réduisent et les chaussettes deviennent plus accessibles. Jusqu’au milieu du XXe siècle, elles restent plutôt classiques et discrètes, considérées comme un simple accessoire confortable, le plus souvent utilitaire.

Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle qu’elles deviennent des objets de mode à part entière, se déclinant dans un large éventail de matières et de couleurs, affichant les designs les plus audacieux. La chaussette est aujourd’hui l’accessoire tendance et versatile que l’on connaît, un détail vestimentaire que l’on choisit avec soin selon l’humeur du moment pour se démarquer… et être parfaitement à l’aise dans ses chaussures !

 

 

À lire :

Les étapes de fabrication d’une chaussette

Le tricotage Jacquard (ou le Jacquard maille)

Histoire du tricotage en France

 

Image de Elsa Laurent

Elsa Laurent

Designer dans l’industrie textile en habillement et en ameublement, je suis co-fondatrice de Textileaddict.me depuis 2017. J'aime partager mes connaissances et bons plans du textile mode et maison. Mon objectif : permettre aux acteurs du secteur de se mettre facilement en relation pour développer leurs projets.