Filière lin français et européen, où en est-on ?

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La réindustrialisation de la filière lin amorcée par la France passe à la vitesse supérieure et prend une dimension européenne. Déjà leader mondial de la production agricole de fibre de lin, l’Hexagone compte retrouver sa compétitivité sur l’ensemble de la chaîne de valeur, du champ au produit fini.

Pour définir les contours des chantiers à mener, la CELC (Confédération Européenne du Lin et du Chanvre) a récemment dressé un état des lieux de la filière. Comment se dessine l’avenir du lin en France et, plus loin, en Europe ?

 

 

L’évolution et les nouvelles missions de la CELC

 

Une nouvelle identité, un rôle élargi

Les compétences de la CELC dépassent aujourd’hui le simple cadre de la promotion des fibres naturelles historiquement enracinées en Europe.

Récemment renommé « Alliance du Chanvre et du Lin européens » (Alliance for European Flax-Linen & Hemp), le collectif créé en 1951 représente désormais « toute la chaîne de valeur du lin et chanvre européens, une organisation ouverte sur le monde, une filière innovante, créative, et surtout durable« , explique son président, Bart Depourcq.

L’Alliance orchestre aujourd’hui l’ensemble des projets qui servent cette grande ambition européenne impulsée par la France. 

 

Une filière responsable qui veut affirmer son leadership

Dans le cadre de cette mission stratégique, l’Alliance multiplie les initiatives pour renforcer l’image de « bon élève environnemental » du lin, pressenti pour devenir le porte-étendard des matières responsables. Comme le résume Marie-Emmanuelle Belzung, déléguée générale de l’Alliance, la filière dispose d’une structure et de certifications solides pour atteindre son objectif, « faire du lin et du chanvre la référence internationale au niveau des matières pour le textile-habillement« .

Commanditaire d’une Analyse du Cycle de Vie pour le lin européen (ACV), la CELC est ainsi devenue la première filière agro-industrielle à mesurer son impact environnemental de façon fiable, selon les normes de la Commission européenne (PEF – Product Environmental Footprint). Cette analyse particulièrement concluante (score de 1.6 – très bonne qualité) vient compléter le profil naturellement vert du lin européen, qui fait déjà l’objet de 2 labels : European Flax® (fibres) et Master of Linen® (produits transformés).

 

Un socle commun pour une Alliance forte

En mars dernier, 140 professionnels du secteur (liniculteurs, représentants de la filière lin, groupes de luxe…) ont été invités à découvrir les résultats d’une étude réalisée à l’initiative de l’Alliance par le groupe Kea & Partners, en collaboration avec l’IFM.

C’est en présence des présidents de région Xavier Bertrand (Hauts-de-France) et Hervé Morin (Normandie) qu’ont été exposées les forces et faiblesses du secteur, ainsi que les 5 grands axes envisagés pour développer la production du lin en Europe. Ces éléments – qui concernent potentiellement les 10 000 entreprises de la filière implantées dans 16 pays d’Europe – constituent la base d’un travail de fond dont le plus grand chantier sera, d’après Marie-Emmanuelle Belzung, « d’aligner les enjeux individuels et collectifs« .

 

 

 

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Les 5 enjeux de la filière lin en Europe

 

Bien que le lin représente seulement 0,4 % de la consommation mondiale de textile, l’attrait pour les matières naturelles et les fibres végétales dans l’habillement ne cesse de croître. Le marché du lin est donc florissant et la demande des tisseurs augmente, mais les approvisionnements en matière première sont insuffisants.

Après 10 ans de « croissance spectaculaire de la production de fibres longues » (+ 20 % entre 2010 et 2020), le rapport indique une « tension sur l’offre depuis 2 ans » due à un ensemble de fragilités conjoncturelles (crise sanitaire, situation internationale…) Il pointe également des faiblesses structurelles impliquant la mise en oeuvre de stratégies individuelles et collectives pour favoriser la compétitivité, la résilience et la promotion de la filière européenne à l’international.

Concrètement, il s’agit de mettre en oeuvre des solutions pour augmenter les volumes produits, stabiliser les prix, mais aussi offrir une qualité, une traçabilité et une empreinte environnementale optimales, conditions essentielles pour garantir la souveraineté du lin européen.

 

1. Produire plus : extension des zones de production et progrès techniques

Les préconisations de l’Alliance portent en premier lieu sur le volet agricole et concernent donc directement la France en tant que 1er producteur mondial, ainsi que la Belgique et les Pays-Bas. La filière lin est invitée à étudier les possibilités d’extension des zones de production, mais aussi à encourager l’innovation dans la liniculture, « de la semence au teillage » (machines de récolte, outils de première transformation…) Dans cette optique, la France devrait pouvoir bénéficier de l’accompagnement de l’Arvalis (Institut technique des grandes cultures).

 

2. Produire mieux : innovations agronomiques pour les semences

Bénéficier de l’innovation agronomique, c’est aussi s’intéresser de près à la qualité des semences. La filière envisage ainsi de faire appel à Hiphen, start-up avignonnaise spécialisée dans le phénotypage des plantes, afin de créer des « champs laboratoires » et améliorer rapidement les variétés produites.

 

3. Qualité des fibres : un référentiel performant pour l’ensemble du secteur du lin

L’une des faiblesses mises en avant par le rapport est la « qualité insuffisamment normée des productions » au stade industriel. Un travail doit être mené de façon à élaborer un référentiel commun aux teilleurs, filateurs et tisseurs. Le projet est de compléter les outils actuels basés sur les propriétés organoleptiques des fibres (aspect visuel, toucher, bruit…) Comment ? Avec une base de données issues de l’imagerie optique et de l’Intelligence Artificielle. Cette méthode devrait permettre d’évaluer encore plus précisément la couleur, la longueur, la propreté et l’épaisseur des fibres.

 

4. Filature

72% des fibres longues sont produites en Europe. Or, près de 80 % de ces fibres sont expédiées en Inde ou en Chine pour y être filées, en raison du manque de filatures européennes et du coût élevé de la main d’oeuvre. Si la question de la filature est un point à améliorer à l’échelle européenne, il faut souligner que la France se distingue depuis quelques années dans ce domaine, en disposant sur le territoire de tous les maillons nécessaires à la production et la transformation du lin en circuit court. Depuis 2 ans, 3 filatures ont déjà vu le jour sur le territoire, 2 projets sont en cours au Portugal et un autre est à l’étude en Belgique…

 

5. Travailler sur le rapport des marques au lin pour séduire

Le lin occupe une place de plus en plus importante dans les collections, toutes gammes confondues. Malgré cet engouement, certaines réticences subsistent chez les designers et chez les consommateurs. Le lin est fréquemment perçu comme une matière textile estivale,  facilement froissable et trop rustique pour être glamour. De plus, son manque de disponibilité n’en fait pas le candidat idéal au moment du sourcing. Il est donc nécessaire de mieux informer les designers, directeurs artistiques et créateurs des spécificités du lin, de les sensibiliser à cette fibre encore trop mal connue, mais aussi de structurer la filière pour garantir un approvisionnement suffisant.

 

 

 

filature safilin TextileAddictfilature ©Safilin

 

 

 

La France prête à développer ses capacités de production

 

Déjà engagée depuis plusieurs années dans un processus de réindustrialisation de la filière lin, la France souhaite continuer à innover pour retrouver sa compétitivité, sans pour autant chercher à concurrencer les filatures indiennes et chinoises. En revanche, elle joue la carte du 100% Made in France en misant sur un retour des savoirs-faire encouragé par l’État, avec le soutien de 3 régions productrices de lin : la Normandie, le Grand Est, ainsi que les Hauts-de-France qui ont également cofinancé l’étude de la CELC.

3 filatures ont ainsi ouvert leurs portes entre 2020 et 2022, bouclant la chaîne de production du lin sur le territoire : Emanuel Lang (Haut-Rhin/Mulhouse), Safilin (Pas-de-Calais/Béthune) de retour en France après s’être délocalisée en Pologne, et Nat Up /La French Filature (Eure/Saint-Martin du Tilleul), inaugurée en septembre 2022. L’ouverture d’une 4e filature est en projet à Morlaix (Finistère) : Linfini devrait entrer en production en 2024, incluant la Bretagne dans la dynamique de développement de la filière lin.

L’objectif reste donc d’être « plus productif, de produire mieux et de produire du fil moins cher » en continuant à investir dans le développement d’infrastructures favorisant le circuit court. Dans ce sens, un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) a été lancé conjointement par les régions Hauts-de-France et Normandie. Des propositions concrètes sont attendues de la part des entreprises prêtes à se lancer dans l’aventure.

Hervé Morin évoque quant à lui à la « création d’un fonds souverain pour le lin« , un moyen stratégique de garantir la stabilité des volumes, des prix et d’éviter les ruptures d’approvisionnement. Pour le président de la région Normandie, « il faut que les usines soient assurées d’avoir de la matière première à travailler ».

 

Etude consultable sur le site de la CELC

 

 

 

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Image de Elsa Laurent

Elsa Laurent

Designer dans l’industrie textile en habillement et en ameublement, je suis co-fondatrice de Textileaddict.me depuis 2017. J'aime partager mes connaissances et bons plans du textile mode et maison. Mon objectif : permettre aux acteurs du secteur de se mettre facilement en relation pour développer leurs projets.