Stocks dormants : on fait le point en 2024

tissus dormants 2024 textileaddict

Sans doute parce qu’ils constituent un non-sens au regard de la mode durable, les stocks dormants sont sortis de l’ombre et éveillent l’intérêt des créateurs. Un nouvel écosystème axé sur leur valorisation se développe, bousculant les habitudes de production et même le processus créatif.

Le marché des deadstocks est aujourd’hui une source d’inspiration et d’opportunités avec laquelle on peut compter. Gros plan sur la métamorphose d’un secteur en plein essor déjà représenté par plusieurs structures en France.

 

 

Stocks dormants, deadstocks, leftovers… des tonnes de matières neuves inexploitées

 

Qu’on les nomme deadstocks (stocks morts), leftovers (stocks restants) ou stocks dormants, les matériaux neufs inusités ne manquent pas dans la mode.

Ces termes englobent toutes sortes de matières textiles n’ayant jamais atteint le stade de produits finis. Il peut s’agir d’anciennes collections, de fins de stocks, de produits présentant un défaut mineur, ou non conformes au cahier des charges…

En 2020, l’ADEME estimait que 10 000 à  20 000 tonnes de textiles neufs étaient vouées à la destruction chaque année en France. Lorsqu’ils n’étaient pas relégués dans un coin d’entrepôt et/ou détruits, ces gisements de l’ombre étaient dans le meilleur des cas recyclés avant même d’avoir été utilisés, ou rachetés par des déstockeurs, auparavant les seuls à fonder leur activité sur le devenir des surplus et chutes de production. Mais ça, c’était avant…

 

En quelques années, la prise de conscience de la nécessité d’une mode durable a gagné du terrain, faisant évoluer les mentalités et les comportements vis-à-vis de ces textiles laissés pour compte. Le 1er janvier 2022, la mise en application de la mesure de la loi AGEC interdisant la destruction des invendus non alimentaires a enfoncé le clou, poussant l’industrie textile à revoir ses méthodologies pour limiter le gaspillage.

De fait, les pratiques évoluent, et c’est tant mieux ! De la rationalisation des approvisionnements à la recherche de débouchés pour les surplus de matières neuves, de nouvelles stratégies se mettent en place.

En parallèle, plusieurs structures ont vu le jour, avec pour objectif de remettre les matériaux « hors circuit » dans la boucle de la mode. Adapta, l’Atelier des matières, Nona Source ou Feat. Coop entre autres, jouent ainsi le rôle d’intermédiaire afin de faire coïncider l’offre et la demande de matières textiles neuves de qualité.

 

 

Un nouveau regard sur le processus créatif

 

Marché de niche il y a 5 ans, la revalorisation des matériaux inutilisés s’accélère dans la filière textile. Et pour cause : cette démarche fait partie des prescriptions de la mode circulaire, au même titre que la réparation, la seconde main ou le recyclage. Et elle est d’autant plus essentielle qu’elle concerne le tout début du cycle de vie d’un produit textile. Ce qui ressemblait à une alternative engagée il y a une dizaine d’années semble en passe de devenir un geste naturel.

Séduites par la qualité d’une offre triée sur le volet, souvent issue de grandes maisons et irréprochable sur le plan de la traçabilité, de plus en plus de marques font confiance à ces nouveaux acteurs du textile pour leur sourcing.

Pour toute une jeune génération de créateurs sensibilisée aux enjeux actuels, l’utilisation des stocks dormants est presque un réflexe. À tel point que certains font évoluer leur façon de concevoir des vêtements. Abordant le processus créatif à rebours, ils se laissent inspirer par les matières disponibles pour créer des collections prédéfinies en terme de couleurs, de matières, et produites en quantité limitée. Une stratégie vertueuse, bonne pour la planète, mais aussi capable d’augmenter la désirabilité des produits…

 

 

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Un écosystème qui a sa place dans la filière textile

 

Tirer parti de matières neuves inutilisées est une démarche qui ne concerne plus seulement une frange de créatifs ultra-engagés pour l’environnement. Le fait qu’elle repose sur un principe « gagnant-gagnant » a indéniablement favorisé sa démocratisation. Elle offre en effet aux grandes maisons et aux marques établies la possibilité d’écouler leur surstock en le rendant accessible aux jeunes créateurs, généralement friands de belles matières.

Engagés sur la qualité et sur la traçabilité des matières, sélectifs, exigeants, les acteurs de ce tout nouvel écosystème ont su donner une nouvelle image à un marché qui inspirait jusqu’ici peu confiance aux marques. La plupart d’entre eux travaillent en partenariat avec des marques renommées, certaines structures ayant d’ailleurs été créées à l’initiative de grands noms de l’industrie du luxe (Chanel, LVMH…) Un gage de haute qualité, aux antipodes de l’offre qui existait auparavant.

En toute logique, l’apparition de cet écosystème de revalorisation ne nuira pas aux fournisseurs classiques, qui demeurent les seuls en mesure d’assurer un réassort constant et d’approvisionner les collections permanentes. En revanche, ces structures apparaissent comme des solutions alternatives face aux tensions actuelles du marché. Par ailleurs, le recours aux deadstocks permet de raccourcir les chaînes d’approvisionnement et de privilégier les filières locales, des avantages non négligeables pour l’économie française comme pour l’écologie.

Preuve de leur succès, les stocks dormants étaient représentés pour la première fois lors du dernier salon Première Vision (février 2024) et 29 exposants étaient attendus à l’occasion de l’édition juillet 2024.

 

 

Ces initiatives françaises qui facilitent l’accès aux stocks dormants

 

  • Adapta

 

Lancée en 2018, la plateforme Adapta a débuté son activité en proposant des cuirs d’exception issus de surplus de grandes marques. Aujourd’hui, le cuir est toujours la spécialité de la maison, mais l’offre s’est élargie aux textiles et matériels haut de gamme (chaînettes, fermoirs…) Adapta compte actuellement 800 clients à qui elle propose d’accéder à des matières nobles à des tarifs bien en-dessous du marché. La plateforme travaille actuellement au déploiement de son offre à l’international.

 

  • L’Atelier des matières

 

Derrière l’Atelier des matières se cache un grand nom : Chanel. Ouvert en 2019, cet atelier un peu à part s’est donné pour mission de revaloriser les matières non utilisées et les produits finis invendus issus de la mode et du luxe (textile et maroquinerie). L’Atelier des matières propose une approche globale qui comprend la collecte, le tri et le désassemblage d’invendus et de reliquats de production. Cette expertise lui permet de proposer aux créateurs une « matériauthèque » d’exception riche de milliers de références.

 

  • Nona Source

 

Soutenue par LVMH, la plateforme Nona Source a été inaugurée en 2019. Depuis 5 ans, elle met à la disposition des designers des tissus puisés dans les stocks dormants des maisons de luxe. Derrière les portes de son showroom situé à La Caserne (Paris 10e) plus de 4 000 références de tissus et fils, ainsi qu’une collection de cuirs régulièrement renouvelée n’attendent plus qu’une marque inspirée pour révéler leur potentiel.

 

  • Feat.Coop

 

Comme le résume l’acronyme choisi pour lui servir de nom, la marketplace Feat.Coop a été créée en 2022 pour « Faciliter l’Émergence d’Alternatives Textiles ». Au sein de son showroom, mais aussi en ligne, cette jeune coopérative lyonnaise met en avant un large éventail de produits textiles et de mercerie exclusivement produits dans la région AURA (Auvergne-Rhône-Alpes).

 

  • Tissuthèque Fashion Green Hub (Roubaix)

 

Depuis 2022, l’association Fashion Green Hub propose à ses adhérents une Tissuthèque circulaire. Aux côtés d’une sélection de matières neuves en fils recyclés, on y trouve également tout un panel de matières et de composants issus de stocks dormants et d’invendus sourcés localement (Hauts-de-France).

 

 

 

Les deadstocks bientôt au bout du rouleau ?

 

Les deux dernières années ont été marquées par une montée en flèche des coûts de production et par la réduction du budget habillement chez les consommateurs. L’austérité du climat économique contraint les marques à revoir leur copie pour assurer une gestion des approvisionnements la plus resserrée possible. Les surplus de matière dus à des « erreurs » d’estimation sont de moins en moins fréquents, et les entreprises cherchent d’abord à tirer parti de leurs stocks propres résiduels avant de chercher à les écouler.

On pourrait donc être tenté de croire que cette manne providentielle n’aura qu’un temps… Mais c’est sans compter le rythme des collections et le processus industriel lui-même, qui rendent le phénomène des stocks dormants inévitable. Et ce malgré l’importance que les créateurs et fabricants attachent à la gestion de la chaîne de production pour les limiter.

À l’avenir, la possibilité que le filon des deadstocks se réduise n’est pas exclue, mais, à en croire les représentants du secteur, il est actuellement inenvisageable qu’il s’épuise complètement. Maintenant qu’ils sont réveillés et intégrés dans la boucle de la mode circulaire, il va être difficile de faire sans les stocks dormants !

 

En attendant, on ne peut que souhaiter que ces nouveaux business models bénéficieront à court terme d’une aussi bonne visibilité que les solutions de recyclage, afin d’inciter les entreprises à jouer le jeu pour donner une nouvelle vie à leurs invendus.

 

 

 

À lire :

TISSUS & CUIR  : Où acheter les fins de stock et les stocks dormants ? 

Recyclage textile, les dernières nouveautés

 

Elsa Laurent

Elsa Laurent

Designer dans l’industrie textile en habillement et en ameublement, je suis co-fondatrice de Textileaddict.me depuis 2017. J'aime partager mes connaissances et bons plans du textile mode et maison. Mon objectif : permettre aux acteurs du secteur de se mettre facilement en relation pour développer leurs projets.

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