matériaux biosourcés ©Evolved by Nature
Comment définir précisément les biomatériaux ? Quelle perception en avons-nous aujourd’hui ? Quels sont les biomatériaux pressentis pour être l’avenir de la mode durable ? Biofabricate et Fashion For Good (FFG) ont posé ces questions – et bien d’autres – à des experts du textile et de la biotechnologie : Adidas, Dupont, Spiber, Kering, Bolt Threads ou Mycoworks… Une trentaine de startups, grandes marques et designers ont participé au projet « Comprendre les innovations matérielles bio : un guide pour l’industrie de la mode« .
Cette analyse très complète synthétise la vision actuelle des biomatériaux. Elle se veut le point de départ d’un travail de réflexion pour catégoriser ces nouvelles fibres « bio » et standardiser le lexique de ce secteur innovant.
Biomatériaux : un glossaire à définir
Les initiatives durables se multiplient et les recherches dans le domaine de la biotechnologie s’avèrent particulièrement fructueuses : la soie, le cuir ou la cellulose issus de microbes sont devenus une réalité. Nouvelles matières, nouvelles technologies… nouveau langage ? Le premier constat du rapport « Comprendre les innovations matérielles bio : un guide pour l’industrie de la mode » est qu’à l’heure actuelle, la terminologie des biomatériaux manque de clarté. Depuis environ cinq ans, l’actualité du textile s’est enrichie d’un vocabulaire dérivé du secteur biomédical dont la signification réelle reste ambiguë, voire inappropriée au secteur textile. « Biomatériaux« , biosourcing« , « bioassemblage« , « biosynthétique » ou « biofabrication » sont des termes récurrents dans la filière textile mais, faute de définition précise, chacun peut en faire sa propre interprétation. Envisager une mode responsable, c’est bien, mais pour communiquer de manière claire et efficace tout au long de la chaîne d’approvisionnement, il faut avant tout parler le même langage. Dans ce domaine, tout reste à faire. Et si on commençait par réfléchir à une terminologie commune ? En s’appuyant sur le savoir et l’expérience des interviewés, le guide de Biofabricate et Fashion For Goods a cherché à définir les termes « bio » les plus employés dans la mode.
1. Biomatériaux
Les biomatériaux (Biomaterial en anglais) : Le terme « biomatériau » est utilisé pour qualifier les matériaux qui présentent une association biologique non spécifique.
Au fond, qu’est-ce qu’un biomatériau ? En cherchant sur internet ou dans un dictionnaire, on constate qu’il n’existe pour l’instant qu’une définition médicale du terme. D’après l’INSERM par exemple, les biomatériaux sont « des matériaux, synthétiques ou vivants, utilisables à des fins médicales pour remplacer une partie ou une fonction d’un organe ou d’un tissu. Ils peuvent être inertes, bioactifs, hybrides… »
On est loin de la signification que la mode attribue à ce terme ! La filière textile l’emploie généralement pour qualifier un matériau fini, sur la seule hypothèse que sa composition et/ou son processus de fabrication puissent être associé (de loin ou de près) à un phénomène d’ordre biologique.
À l’heure actuelle, peut donc être considérée comme un « biomatériau » toute matière textile qui :
- contient de la biomasse,
- et/ou est d’origine biologique,
- et/ou a été fabriquée selon un processus respectueux de l’environnement,
- et/ou est biodégradable.
Pour l’instant, l’une ou l’autre de ces affirmations suffit à justifier l’emploi du mot. D’après la grande majorité des professionnels consultés, c’est insuffisant : le terme « biomatériaux » apparaît comme étant peu explicite, voire trompeur. L’absence d’indications sur le contenu biologique réel du produit et sur son impact environnemental soulève de nombreuses questions. Tous les matériaux biodégradables sont-ils des biomatériaux ? À partir de quel pourcentage de composants bio peut-on considérer qu’un matériau devient un biomatériau ? Quid des matériaux contenant également des polymères issus de la pétrochimie ?
La plupart des personnes interrogées ont estimé qu’un biomatériau devrait a priori se composer d’au moins 50 % de biocontenu et donc être majoritairement biodérivé. Elles ont aussi pointé l’importance de déterminer une valeur seuil pour éviter abus de langage et tentatives de greenwashing.
En conclusion, la définition de ce terme « fourre-tout » demande à être affinée. En attendant, le mot « biomatériau » peut être utilisé en tant que terme générique, mais il nécessite d’être placé dans un contexte précis ou accompagné d’informations complémentaires.
2. Biosourcé ou biodérivé
Biosourcé (Biobased en anglais) : Les matériaux biosourcés sont entièrement ou partiellement dérivés de la biomasse, c’est-à-dire des plantes, des arbres ou des animaux. Cette biomasse peut avoir subi un traitement physique, chimique ou biologique (à l’exclusion d’un traitement reposant sur l’emploi de ressources fossiles).
D’après cette définition, les matériaux biosourcés comprennent donc les fibres naturelles, les fibres cellulosiques artificielles, les polymères naturels (chitine, caséine, kératine), les cuirs d’animaux ainsi que leurs alternatives.
En Europe et aux USA, le terme « biosourcé » correspond aux matériaux considérés comme des alternatives aux produits issus de la pétrochimie. Pour être classés en tant que tels, ils doivent contenir une quantité minimale d’ingrédients biologiques renouvelables, quantité qui varie en fonction de la catégorie du produit. Des normes ont été mises en place, elles intègrent le niveau de biodégradabilité, de recyclabilité, de durabilité et le pourcentage de contenu biosourcé à respecter. La Commission européenne a cependant identifié un manque de normes en ce qui concerne la détermination de ce contenu. Le CEN (Comité Européen de Normalisation) a été mandaté pour combler ces zones de flou : le travail est en cours.
©Frank Fox / CC BY-SA 3.0 DE
3. Biosynthèse / Biosynthétiques
Biosynthèse (Biosynthesis en anglais) : Processus par lequel un élément biologique vivant (organisme ou cellule) se transforme simplement en molécules complexes.
Biosynthétiques (Biosynthetic en anglais) : Matériaux polymères synthétiques entièrement ou partiellement constitués de composés biodérivés. Ces composés peuvent être issus de la biomasse et/ou d’un processus effectué par un micro-organisme.
Dans l’univers de la mode et du textile, le terme « synthétique » s’applique à des fibres tirées de ressources fossiles (charbon, pétrole…) grâce à un processus de synthèse chimique.
La biosynthèse est quant à elle un phénomène naturel présent partout autour de nous. Il s’agit de la « formation des composés organiques qui se trouvent dans les êtres vivants (bactéries, plantes, animaux…) » L’exemple le plus connu est la photosynthèse chez les plantes, un processus biochimique complexe qui transforme l’énergie du soleil en matière organique.
À l’heure actuelle, la production de nombreux biomatériaux repose sur un phénomène de biosynthèse à une étape donnée du processus. Les composés issus de cette biosynthèse peuvent être synthétiques ou naturels. La biosynthèse permet donc de proposer des alternatives à des matériaux pétrosourcés (polyester, etc.) Ces fibres de substitution sont généralement nommées « biosynthétiques ».
Le terme « biosynthétique » implique donc une notion biologique. On l’utilise pour qualifier un biomatériau chimiquement identique à un matériau synthétique, quel que soit le procédé d’obtention :
- Un biosynthétique peut être un matériau polymère d’origine biologique chimiquement identique à un polymère issu de la pétrochimie, mais obtenu par la synthèse d’une matière première naturelle (le sucre, par exemple).
- Il peut aussi qualifier un matériau polymère issu d’un procédé nécessitant l’intervention d’un organisme vivant (micro-organisme) à une étape du processus.
Dans ce contexte, la biosynthèse permet d’obtenir des copies parfaites de fibres synthétiques conventionnelles (nylon, polyester…) sans avoir recours à des ressources fossiles.
Elle permet aussi de « reproduire » certains polymères naturels (cellulose, soie…) plus facilement que dans la nature et/ou à grande échelle : les polymères obtenus sont similaires, mais produits par un autre type d’organisme vivant. C’est le cas de la soie d’araignée synthétique par exemple, produite par des micro-organismes sous la forme de protéines.
Les personnes interrogées soulignent l’ambiguïté du terme « synthétique » (bio ou non) qui peut être associé à tort à des fibres « réellement » synthétiques dérivées de la transformation du pétrole. De plus, l’amalgame entre les fibres biosynthétiques imitant les polymères synthétiques pétro-sourcés et fibres biosynthétiques imitant les polymères naturels entraîne une certaine confusion. Elles considèrent qu’il serait plus judicieux de qualifier ces dernières de fibres « biofabriquées ».
4. Matériaux biofabriqués : biofabrication (bioproduction)
Biofabrication (Biofabrication en anglais) : Fabrication de matériaux par des organismes vivants.
La biofabrication (aussi nommée bioproduction ou biomanufacture) est un terme tiré du secteur médical récemment introduit dans l’industrie de la mode. À l’origine, ce mot désignait tout produit fabriqué de manière naturelle, mais son emploi s’est étendu à d’autres types de matériaux relevant de la biotechnologie ou de la biologie synthétique.
Matériaux biofabriqués : Les matériaux biofabriqués sont produits par des cellules vivantes et des micro-organismes (bactéries, levures ou mycélium).
Ingrédients biofabriqués : Les ingrédients biofabriqués sont de minuscules « blocs de matières premières » (molécules) produits par des cellules vivantes ou des micro-organismes tels que les bactéries ou les levures. Ces ingrédients nécessitent un traitement mécanique ou chimique pour s’assembler et composer une structure matérielle à l’échelle macroscopique. (Exemple : protéines complexes de soie ou de collagène.)
©Mylo™ – Bolt Threads
5. Matériaux bioassemblés : bioassemblage
Bioassemblage (Bioassembly en anglais) : Un matériau bioassemblé est une structure macroscopique cultivée directement par des micro-organismes.
Le bioassemblage peut être envisagé comme un « sous-ensemble » de la biofabrication. Il s’en distingue à la fois par son échelle et par une notion d' »auto-organisation » du processus dont la majeure partie repose sur la biologie et permet d’aboutir à un matériau final, prêt à être utilisé. C’est le cas du cuir de mycélium par exemple, qui se développe de manière autonome sous la forme d’une matière structurée et exploitable. C’est aussi le cas de la cellulose « cultivée » par fermentation de bactéries, qui s’auto-assemble en feuille prête à l’emploi.
En résumé, là où la biofabrication utilise des micro-organismes pour fabriquer des molécules de toute petite taille non organisées, le bioassemblage intègre également l’étape durant laquelle ces molécules sont assemblées et structurées, à l’échelle microscopique ou macroscopique.
Les matériaux biofabriqués pourraient constituer une large catégorie de biomatériaux textiles comprenant plusieurs sous-catégories :
- matériaux biosynthétiques (polymères synthétiques issus d’un bioprocédé de fabrication alternatif)
- matériaux bioassemblés
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Les techniques de production décryptées pour une meilleure compréhension
Une bonne image valant mieux que mille mots, le guide conçu par Biofabricate et FFG propose également une analyse synthétique des techniques de production de plusieurs types de fibres (classiques, biosourcées, biosynthétiques, biofabriquées et bioassemblées). Chaque processus est illustré par un diagramme simple qui détaille les différentes phases de production, de l’origine des matières premières au matériau fini, accompagné de la liste des entrées/sorties (intrants et extrants) pour chacune de ces étapes. Tous les processus de production des biomatériaux sont illustrés sont à retrouver dans le guide sur ce lien.
En voici un aperçu :
exemple de processus de production d’un matériau biosourcé obtenu à partir de la fibroïne de la soie
exemple de processus de production d’un matériau biosynthétique
exemple de processus de production d’un matériau biofabriqué
exemple de processus de production d’un matériau bioassemblé
Au final, on ne peut que saluer l’initiative de ce guide qui permet de mieux comprendre les innovations textiles qui concernent les biomatériaux. Ce « pack » de ressources comparatives est une première dans le domaine des matières textiles « bio » et il constitue un point de référence universel pour l’ensemble des acteurs de l’industrie de la mode.
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