Le phénomène n’a échappé à personne : depuis l’apparition de Chat GPT, l’IA se démocratise. Dans la foulée du célèbre robot conversationnel conçu par Open AI, les applications grand public capables de créer de toutes pièces un texte ou une image se multiplient.
Facilement accessible, ludique, l’Intelligence Artificielle générative s’immisce partout dans notre quotidien. Tout nouveaux, tout beaux, ces outils au service d’une créativité sans limite, sans effort et à moindre coût font plus d’un adepte. Processus créatif, propriété intellectuelle, emploi… L’IA prend de plus en plus de place dans la mode : quel est son impact sur les designers, stylistes et modélistes qui l’imaginent et la conçoivent ?
L’IA dans la mode
Le monde de la mode porte un intérêt croissant à l’immense potentiel des IA, mais les avis sont encore très partagés sur le sujet. À l’heure actuelle, les productions générées par une Intelligence Artificielle restent expérimentales dans l’art, le design et la mode, où elles prennent le plus souvent la forme de collections capsules.
Pourtant, l’industrie de la mode et du luxe intègre l’IA depuis une dizaine d’années déjà. Jusqu’ici, cette technologie était principalement employée à des fins marketing (segmentation, prédiction des ventes…), pour améliorer les processus de production et optimiser l’expérience client en ligne. Mais en un an à peine, l’explosion des IA génératives gratuites ou payantes telles que Midjourney, Stable Diffusion, Lensa AI, DALL-E ou Craiyon ont changé le regard porté sur ces nouvelles technologies et mis en lumière l’étendue de leurs possibilités.
Le développement rapide de « machines intelligentes » qui se révèlent créatives, en plus de faire grimper les taux de conversion dans l’e-commerce, pousse le monde de la mode à réfléchir pour éviter que cette lampe merveilleuse d’Aladin ne se transforme en boîte de Pandore. En très peu de temps, la mode est appelée à analyser le phénomène, afin d’anticiper les risques d’une technologie qui progresse à une allure vertigineuse et qui nécessite des décisions rapides pour être encadrée sur le plan pratique et juridique.
Si les potentialités de l’IA semblent illimitées, elles suscitent autant d’inquiétude que d’enthousiasme, à commencer chez les designers, stylistes et modélistes. La question n’est plus de savoir si l’on doit intégrer l’IA au processus créatif, mais plutôt comment la mettre intelligemment au service de la création.
Du côté du luxe, peu de créateurs s’aventurent sur ce terrain et ceux qui sautent le pas jouent surtout avec l’image avant-gardiste de l’IA pour créer l’événement. Face à cette opportunité d’innover et d’explorer de nouvelles sources d’inspiration, la majorité des labels et des grandes maisons préfère pour l’instant jouer la prudence, voire interdire à leurs équipes l’utilisation des IA. Il s’agira à l’avenir de dépasser un paradoxe : comment exploiter ce concept 100 % artificiel sans être en contradiction avec une identité fondée sur l’authenticité, le savoir-faire et le fait main ?
L’IA, bon ou mauvais génie de la création ?
Basées sur des algorithmes, les IA génératives ont recours à la data. Elles peuvent compiler très rapidement une multitude d’images et de données collectées en ligne pour créer de nouveaux contenus à partir d’un simple script (« prompt« ). Les perspectives sont alléchantes, mais il y a tout de même quelques inconvénients…
Gain de temps et regard neuf
En offrant la possibilité de créer une multitude de modèles différents dans des délais très bref, l’IA s’envisage d’abord comme une solution qui permet de créer des collections en un minimum de temps.
Avec des champs de compétences étendus bien au-delà des limites du cerveau humain, les IA peuvent multiplier les propositions en donnant de nouvelles perspectives à la mode. Le fait qu’elles soient totalement détachées de l’aspect fonctionnel du vêtement ouvre la voie à de nouvelles possibilités esthétiques. Exit l’angoisse de la page blanche : l’émergence de l’IA en tant que « super moodboard » annonce l’invention de formes, volumes et même motifs inédits. Outre un regain de créativité, elles peuvent aussi prédire les tendances à venir, offrant un énorme gain de temps sur l’élaboration de vêtements pour toujours « coller » à l’air du temps, mais aussi favoriser une conception plus rapide et raccourcir les délais de mise sur le marché.
AiDA, un assistant pour aller plus vite des croquis aux défilés
Simplifier la vie des stylistes et accélérer le processus créatif en préservant à la fois la créativité et les compétences, c’est ce que propose AiDA. Cette IA développée par Calvin Wong, directeur de l’AidLab et professeur de mode à l’Université polytechnique de Hong Kong, est le rêve de tout designer. Elle est capable de générer « toutes les combinaisons possibles » à partir d’éléments de design (imprimés, motifs, couleurs, croquis) grâce à la reconnaissance d’image. Charge au styliste ensuite de faire le tri pour retenir les meilleures propositions…
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Les limites actuelles de l’IA
À l’heure du Web 3.0, les vers de Boileau restent valables face aux IA : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage… » Non, il ne suffit pas de faire un voeu pour que l’IA l’exauce : se lancer dans la génération d’images artificielles demande de maîtriser l’art du prompt. Pour avoir un résultat pertinent, il est nécessaire de proposer à la machine le brief le plus clair et le plus détaillé possible. Il faut affiner sa formulation et plusieurs essais sont généralement nécessaires pour obtenir satisfaction. De la simple incohérence à l’absurdité la plus totale, l’outil est encore perfectible et les échecs nombreux.
Par ailleurs, comme évoqué précédemment, les IA ne prennent pas en compte l’aspect concret d’un vêtement, ni les règles pratiques qui régissent sa conception. Passer de l’image à la production implique forcément un regard et un savoir-faire humains. Notamment lorsqu’il s’agit de rapprocher les productions artificielles en 2D des techniques de modélisation 3D afin de concevoir une pièce réalisable et fonctionnelle. Grâce au deep learning et aux algorithmes NeRF conçus pour développer des vues 3D à partir de photos 2D, le problème devrait être résolu dans les années qui viennent.
La question de la propriété intellectuelle
En IA, tout repose sur les données numériques. La data est non seulement une mine d’or pour les entreprises, mais aussi le carburant créatif des IA génératives qui les collectent de manière assez libre sur internet, les analysent et les exploitent. En plus de soulever des questions de qualité, de gestion et d’extraction, ces données sont problématiques lorsqu’on commence à les envisager sous l’angle de la propriété intellectuelle.
En l’absence de réglementation spécifique, force est de constater que les premières IA génératives ont été conçues sans se soucier d’éventuels droits d’auteur. Un domaine dans lequel il règne encore un énorme flou juridique, aussi bien en ce qui concerne les oeuvres originales exploitées sans autorisation par les IA que pour les créations qu’elles sont capables de produire. À qui attribuer la paternité d’une création assistée par IA ? Aux États-Unis, la question a été tranchée en août dernier : certainement pas à une IA. Idem en France, où pour l’instant le Code de la Propriété intellectuelle ne reconnaît pour l’instant la qualité d’auteur qu’à une personne physique, mais pas à une IA ni un logiciel…
Une partie de la solution consiste à trouver la meilleure façon de « nourrir les IA », pourquoi pas en circuit fermé. Sur ce sujet, la directrice générale de l’IFTH, Clarisse Reille, recommande aux créateurs et aux labels d’envisager la mise en place de modèles d’IA 100 % personnalisés : « un outil totalement adapté à la marque, qui doit créer son système d’IA avec son propre dataset et univers reflétant son histoire. Cette base doit être sa propriété ». Un conseil judicieux, qui a le double avantage de protéger les designs textile et créations tout en conservant l’ADN d’une maison ou d’une griffe.
L’UE planche actuellement sur la législation qu’elle compte mettre en place pour réguler l’utilisation de l’IA. En attendant sa mise en application, les marques qui utilisent l’IA sont vivement encouragées à protéger leurs créations, ainsi que leurs données…
L’IA peut-elle remplacer les créatifs ?
L’automatisation de la création soulève énormément de problèmes (éthique, droits d’auteur…) auxquels la mode semble bien décidée à apporter des solutions afin de pouvoir utiliser l’IA de façon pertinente. Alors, l’intelligence artificielle pourrait-elle un jour remplacer l’humain ? Rien n’est moins sûr. Les acteurs de la mode et les chercheurs s’accordent sur le fait que l’IA peut s’intégrer au processus créatif humain pour l’améliorer, mais qu’elle ne pourra jamais totalement s’y substituer. Comme l’assure Frédéric Rose, fondateur d’IMKI : « L’AI répond à un brief et sort la réponse la plus adaptée. Jamais elle ne pourra anticiper ou capter l’air du temps, ni gérer l’émotion« .
À l’instar du dirigeant de cette startup spécialisée dans le développement de solutions d’IA génératives pour la mode, les scientifiques ne manquent pas de rappeler que ces technologies ne sont rien de plus que des objets mathématiques. De fait, leurs propos sont plutôt rassurants quant à l’avenir de l’IA dans la mode (et ailleurs). D’après Laurence Devillers, professeur en IA à la Sorbonne invitée aux 22e Rencontres Internationales de la Mode, « Il faut dénoncer le mythe de l’IA générative […] c’est juste une machine, qui n’a ni la notion de la chronologie, ni de l’espace. L’IA n’est pas capable d’avoir un sens. Certes, ce sont des outils formidables, mais il faut savoir les utiliser. »
Singulier, complexe, le processus créatif reste pour l’instant inimitable. Inutile donc d’abandonner votre carrière créative et d’envisager une reconversion : la création entièrement automatisée n’est pas (encore) à l’ordre du jour. En revanche, ces innovations qui facilitent l’inspiration risquent de vous rendre encore plus imaginatif et performant !
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