Faisons ensemble une histoire du tricotage, une entreprise complexe car, disons-le, peu de traces existent sur la bonneterie française… eh oui, s’il y a des déesses et des héroïnes antiques (Arachné, Pénélope, etc.) qui tissent, aucune d’entre elles ne tricotaient !
Tout juste peut-on s’accorder sur l’origine du mot tricotage qui provient de l’aiguille à tricoter qui s’est d’abord appelée « petite trique » puis « tricot » donnant alors son nom à la technique. Nous sommes alors au 16ème siècle et les aiguilles étaient en bois…
Revenons donc sur cette histoire du tricotage en France.
Les origines du tricotage
L’ancêtre du tricotage ? Le nalbinding, une technique viking de création de textiles, mais c’est en Égypte, chez les Coptes, que l’on retrouve la plus ancienne relique tricotée : des chaussettes du 8ème siècle ! Le tricotage arrive ensuite en Europe, puis en France grâce aux croisades autour du 10ème siècle…
chaussettes coptes, VIIIe siècle
Et, parallèlement à cette arrivée du tricotage en Europe du sud, le tricot en grosse laine, exécuté au crochet ou sur de grosses aiguilles en os ou en bois, s’est aussi introduit dans le Nord de l’Europe grâce aux normands. Ainsi, le tricot se développe en Norvège, en Finlande, en Islande et plus généralement dans toutes les régions de culture celte comme notre actuelle Bretagne. A chaque fois, le tricot s’enrichit des cultures et des traditions des peuples qui le découvrent…
Histoire du tricotage du 14ème au 18ème siècle
Dès le 14ème siècle, en France, la technique du tricot devient une activité artisanale et commerciale à part entière. A Paris, ces artisans fabriquent principalement des bonnets, d’où le nom de bonneterie pour qualifier l’ensemble de la production de tricotage. L’industrie françaises des bonnets sera d’ailleurs très florissante au 18ème siècle.
Les premières confréries et corporations réunissant les fabricants d’articles tricotés indépendants, dit « les bonnetiers », apparaissent dès le 16ème siècle. A cette période, le tricotage devient, dans certaines régions françaises, une activité importante pour que les familles les plus pauvres accèdent à un revenu complémentaire.
Vierge tricotant une petite robe pour l’enfant Jésus avec quatre aiguilles, par le Maître Bertam von Minden, vers 1400-1410 // La Tricoteuse, par Auguste Georges Blondel, vers 1849 – Musée des Beaux Arts, Rennes
Mais le rendement est évidemment très faible, il faut donc se diriger vers la mécanisation. Et c’est William Lee, un vicaire anglais (Calverton – Nottinghamshire), qui invente en 1589 la machine à tricoter. Dans un premier temps, cette machine ne peut que fabriquer des bas et des chaussettes !
On raconte d’ailleurs que l’idée lui est venue afin d’aider son épouse qui pratiquait le tricotage professionnel à la main. Pour autant, il aura bien du mal à imposer sa machine en Angleterre. Son succès est, en revanche, immédiat en France grâce à Henri IV qui l’importe et passe de nombreuses commandes…
La machine à tricoter The stocking frame de William Lee
Cet art de tricoter les bas n’apparut d’ailleurs qu’au 16ème, procédé jusqu’alors méconnu depuis le Moyen-Age : les « chaussants » étaient fait de tissus coupés et cousus. Le bas tricoté à la main resta longtemps un objet de luxe en raison de sa technique plus complexe (tricoté circulairement) que la confection du bonnet classique.
Malgré les réticences et résistances des tricoteurs à la main, les premiers métiers à tricoter sont introduits à Troyes en 1746 afin de procurer du travail aux pauvres valides des hospices de la ville. En Champagne, la bonneterie au métier fit des progrès rapides à partir de 1760.
A la fin du 18e sicle, la bonneterie au métier, utilisée par des bonnetiers à domicile équipés de petits ateliers familiaux, s’est installée dans la plupart des localités où existait déjà une industrie textile (filature, draperie, toilerie, tisseranderie), se dispersant dans les campagnes de la région d’Arcis sur Aube, de Troyes et du Pays d’Othe.
En parallèle, les manufactures mécanisées ( les fabriques « primitives »), regroupant nombre de travailleurs salariés, se développent un peu partout en France comme dans le Sud de la France en particulier à Nîmes mais également à Lyon et en Champagne.
Le tricot, des ouvrages de Dames
On sait désormais faire des tricots avec une machine et pourtant, au 18ème siècle, c’est le tricot à la main qui est très à la mode dans l’aristocratie. Au Trianon par exemple, Marie-Antoinette tricote beaucoup. Il faut dire que le raffinement des accessoires tricotés reflète alors le statut social de la « dame de qualité » qui les possède. Grâce à Jean-Jacques Rousseau (L’Emile), on se préoccupe aussi à cette époque de « l’éducation » des filles, qui ont « naturellement » le goût pour les travaux d’aiguilles. A ce titre, il sera aussi largement enseigné dans les institutions et les écoles aussi bien religieuses que laïques pendant tout le 19ème siècle… une autre époque !
Enfin, notons qu’à partir des années 1850, les premiers fils de laine teints chimiquement offrent aux tricoteuses du Second Empire un plus large choix de couleurs, plus vives et plus chatoyantes…
La Classe manuelle, école des petites filles (Finistère), par Richard Hall, 1889 – Musée des Beaux Arts, Rennes
Les métiers à tricoter du 19ème siècle au 20e siècle
Jusqu’au début du XIXe siècle, le matériel de fabrication se réduit au métier rectiligne à bâti de bois, complété par le touret, sorte de petit bobinoir rustique.
3 types de métiers à bâti de bois sont utilisés : le métier anglais (à peu près identique à la machine de William Lee), le métier français (qui en dérivait directement), enfin le métier « à tambour » ou à « l’escargot » (beaucoup plus rare). Vers 1768, apparait en France le métier à côte, inventé par l’anglais Strutt dix ans auparavant. Il est équipé d’une double rangée d’aiguilles (double fontures). Ce métier produit un tricot d’une grande élasticité et permettait la réalisation de certaines fantaisies de mailles.
La mécanisation du tricotage ne remplace par pour autant complètement l’ouvrier bonnetier qui continue à réaliser certaines opérations à la main que le métier ne peut pas exécuter (opérations de diminution et rebroussage notamment). Artisans et ouvriers apporterons d’ailleurs bons nombre de perfectionnements techniques aux métiers à tricoter jusqu’à la période de concentration de la bonneterie en grandes fabriques, après 1850.
Le métier à bâti de bois inspiré du système de Lee est employé jusqu’en 1870 puis est progressivement abandonné par la grande industrie pour disparaitre après 1925.
Métier à tricoter mécanique, Angleterre, milieu du XIXe – dessin ©A. Sarry
La plus grande innovation dans l’évolution technique du tricot depuis l’époque de William Lee est sans doute le métier « chaine » inventé par Crane en 1775. Introduit en France en 1829 par le mécanicien troyen Delarothiere, ce métier à tricoter ressemblant à un métier à tisser ordinaire évite tout risque de démaillage contrairement au métiers à cueillirent du type Lee. L’automatisation de ces métiers vient en 1900 et ils permettent la fabrication de bas, de gants, de vestes, de culottes en tricot indémaillable. Combinés avec une mécanique type Jacquard (ajout de plusieurs couleurs), ces articles sont très prisés à l’exportation.
Les métiers circulaires apparaissent à la première moitié du 19e siècle. Ces machines de très grande production sont composées d’aiguilles disposées en cercle (les aiguilles ne sont plus alignés rectilignement). Elles permettent de réaliser des tricots de forme tubulaire, voire même de tricoter des articles sans couture tels que les bas ou chaussettes.
A partir de 1850, le tricotage entre dans une phase de super-mécanisation puis d’automatisation avec le développement des systèmes mécaniques de sélection type Jacquard puis avec le développement de la commande numérique. De nombreuses importations de métiers à tricoter sont régulièrement faites en France jusqu’au 20e siècle comme l’intégration du métier à bas breveté par Hine et Mundella, le métier tubulaire à côte, le métier rectiligne à côte, le métier Tailbouis, le célèbre métier Paget (connu sous le nom de métier Hollandais), le métier Cotton, le métier Meylor.
Les années folles, les années du tricot moderne
La mode des vêtements tricotés se développe énormément au début du 20ème siècle. L’hiver, à Saint-Moritz, on s’équipe d’un bonnet, d’une écharpe et d’un pull pour pratiquer le ski ou le patinage et les autres saisons, on porte d’élégants et confortables sweaters (du verbe anglais « to sweat » : transpirer) pour la chasse, les parties de campagne et la plage à Deauville… Les « maillots de bain » étaient alors… tricotés !
Marie-Rose, Bibi, Dani et Simone sur la plage d’Hendaye, par Jacques-Henri Lartigue, août 1927 // Maillot de bain Jantzen, vers 1920
Et la première grande prêtresse du tricotage est alors Gabrielle Chanel. Dès 1913, elle rachète les usines de Jacques Rodier (un célèbre bonnetier de l’époque) afin de pouvoir produire du tricot en masse. Il faut dire que le style de vie des années 20 voit le triomphe de la maille et des pullovers…
Un tel engouement pour les tenues en maille, relayé par des couturiers de renom, ne peut que profiter aussi au tricot domestique. D’ailleurs, pendant la Première Guerre Mondiale, femmes, enfants, et même les soldats blessés, tricotaient « patriotiquement », des chaussettes, des mitaines, des bonnets et des écharpes pour les soldats du front !
Sachez aussi qu’à partir des années 1920, les filatures françaises proposent pour la première fois la vente de laine au détail et même par correspondance…
Gabrielle Chanel photographiée à Deauville vêtue d’un ensemble de tricot, 1913 // Coco Chanel posant dans un de ses ensembles cardigan et pull, 1929
Le tricotage traverse le 20ème siècle
Et ce n’est pas la Seconde Guerre Mondiale qui entamera l’envie et surtout le besoin des femmes de tricoter. Certes, la laine se fait rare, mais on détricote alors les vieux vêtements ! On découpe les chiffons en lanières et on les roule en pelote pour les tricoter. D’ailleurs, à grand renfort d’articles de presse, d’affiches et de propagande, les anglo-saxons associent directement le tricot domestique à l’effort de guerre…
Après-guerre, la consommation croît de manière très importante, mettant en scène une ménagère chic qui s’intéresse de plus en plus à la mode et au tricotage via les magazines féminins comme Marie-Claire ou Le Petit Echo de la Mode. Ainsi, malgré l’arrivée des fibres synthétiques, le tricotage continue de faire parler de lui !
Couverture de Marie-Claire n° 143, 1939 // Pull rayé Sonia Rykiel porté par Françoise Hardy en couverture du Elle n°938 du 13 décembre 1963 // Pull imprimé Sonia Rykiel en couverture de Elle, n° 1321 du 12 avril 1971
En 1969, la collection « tout tricot » d’André Courrèges fait immédiatement des émules chez les tricoteuses… on se souvient de ses chandails à manches kimono ! L’activité tricot est aussi dopée dans les années 70 par le retour du style ethnique avec ses châles, ses ponchos et ses écharpes à franges… des modèles faciles à réaliser, même par les débutants ! Sonia Rykiel, la « reine du tricot », est quant à elle la première styliste à vendre ses créations en tricot dans le catalogue Trois Suisses.
En conclusion, c’est une évidence, le tricotage s’est définitivement installé aussi bien dans notre quotidien que dans les collections, qu’il s’agisse de Haute Couture ou de prêt-à-porter. Mieux encore, grâce à la mode actuelle du « fait main » et du retour à plus de simplicité, le tricot est à nouveau boosté…
Source : Les origines de la bonneterie en France et dans le Roannais, Jacques Poisat, 1982
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