Le Tissage Jacquard : technique, histoire et métiers à tisser

photos de tissages jacquard pour du linge de table

| Mis à jour 09/2025 |

 

Le tissage Jacquard représente une révolution dans l’art du tissage, mêlant tradition et innovation pour produire des étoffes richement décorées. Depuis des millénaires, le tissage repose sur le croisement habile de fils de chaîne et de trame à l’aide d’un métier à tisser, où chaque fil trouve sa place avec précision grâce à des outils comme le peigne et la navette. Au XIXe siècle, Joseph-Marie Jacquard a transformé cette pratique en introduisant un système ingénieux de cartes perforées, permettant de tisser des étoffes avec des motifs complexes sans intervention manuelle. Cette invention, née à Lyon, berceau de la soierie, a non seulement accéléré la production, mais a aussi jeté les bases de l’automatisation textile, influençant même les technologies modernes. Explorons l’histoire, le mécanisme et les applications contemporaines de cette technique fascinante.

 

comparaison d'un métier à tisser Jacquard ancien et d'un métier à tisser actuel

 

 

Fonctionnement du métier Jacquard

 

Cette mécanique se compose d’un système de crochets qui soulèvent individuellement les fils de chaîne, guidés par des aiguilles et d’une chaîne de cartons perforés, de couteaux et d’un cylindre. Elle est montée au sommet d’un métier qui, contrairement aux métiers traditionnels, ne comporte aucune lame. Tout comme les fils servant à former le motif sur le métier à tire, chaque fil du métier Jacquard est passé dans une lisse indépendante qui est tenue sous tension au moyen d’une tige métallique la rendant plus lourde.

Le dessin à tisser est transféré sur une série de cartes perforées et lacées de façon à former une boucle continue qui sera placée sur un cylindre au sommet du métier. Ces cartes sont installées sur le métier et fonctionnent comme les planchettes sur le métier à ratière. Il est possible de modifier l’ensemble des cartes. Toutes les cartes utilisées peuvent être conservées et réutilisées.

 

Lisage et piquage, la preparation des cartons Jacquard_Textile Addictreprésentation de cartons piqués d’après la carte du motif (en rouge) // cartons perforés et lacés

 

La mécanique d’un métier Jacquard actionne un nombre déterminé de fils constituant une répétition. Il y a des mécaniques de 400, 600, 800, 1200 ou même 1600 crochets, à travers lesquels sont enfilés les fils de chaîne.

 

Les composants clés

  • Crochets et aiguilles : Contrôlent le soulèvement des lisses indépendantes.
  • Cartons perforés : Programmables, ils forment une boucle continue, réutilisable.
  • Cylindre : Tourne pour lire les cartes, automatisant le processus.

schéma du tissage Jacquard semi-automatique avec crochets principe du métier Jacquard semi-automatique :

l’aiguille est repoussée quand elle n’est pas dans le trou du carton perforé, ce qui fait basculer le crochet. Lorsque la pédale est activée, le rouleau à section carrée tourne d’un ¼ de tour puis les crochets verticaux qui n’ont pas basculés sont soulevés avec les fils de chaîne qui sont fixés dessus.

 

Flexibilité et limitations du Jacquard

On peut installer plus d’une mécanique (par exemple, deux mécaniques de 600 crochets) sur un métier Jacquard, ce qui permet d’augmenter le nombre de fils par centimètre ou d’accroitre la largeur du motif répété. Par exemple, selon le cas, on peut tisser un seul motif sur toute la largeur du tissu, ou le répéter quatre fois sur toute la largeur. Cependant, lorsqu’on a installé une ou des mécaniques sur le métier, afin de déterminer les tissages à venir, on ne peut modifier ce choix à moins d’investir beaucoup de temps et d’argent. La liberté apportée par le grand nombre de fils dans une répétition limite, d’une certaine façon, la variété des projets à réaliser sur le même métier Jacquard.

La longueur du dessin à tisser (qui correspond à la hauteur du dessin) n’est limitée que par le coût de production du nombre de cartes. Aussi peut-on dire que, de façon pratique, il n’y a pas de limite à cette longueur ; plus de mille cartes peuvent en effet constituer un dessin.

 

 

ancienne photo d'un tisserand tissant sur un métier à tisser jacquard à la mainMétier à tisser Jacquard à la main pour du linge de table

 

 

Histoire du tissage Jacquard et des métiers à tisser

 

Le métier Jacquard a été mis au point au XIXe siècle par Joseph-Marie Jacquard pour permettre de tisser plus rapidement ou aisément les étoffes de couleurs variées à motifs complexes, appelées étoffes façonnées, qui, jusqu’alors, étaient presque toujours tissées à la main. Son prédécesseur est le métier à tire, métier qui requiert l’intervention d’un assistant du tisserand.

 

Les premiers métiers à tisser

Les premiers tissus remontent à la préhistoire, vers 9000 av. J.-C., avec des fils de chaîne tendus entre des bâtons enfoncés dans le sol. Vers 1400 av. J.-C., les métiers verticaux apparaissent, avec une chaîne tendue entre deux barres, limitant toutefois la longueur des tissus. Au Moyen Âge, l’introduction de pédales et de cadres permet de soulever les fils avec les pieds, libérant les mains pour la navette. Au 17e siècle, Dangon invente le système « à la tire » avec des cordes manipulées par un apprenti.

 

Du métier à tire à l’innovation de Jacquard

Avant l’invention du métier Jacquard, on cherchait une façon de remplacer le tireur de lames du métier à tire. Plusieurs personnes intéressées contribuèrent à faire progresser la recherche dans ce sens. Le métier Jacquard s’inspire des inventions antérieures : les aiguilles de Basile Bouchon (1725), les cartes perforées de Jean-Baptiste Falcon (1728) et le cylindre de Jacques Vaucanson (1740). C’est finalement Joseph-Marie Jacquard, avec l’aide de Jean-Antoine Breton, qui le perfectionne en 1801, créant le premier système mécanique programmable pour tisser des dessins complexes sans aucune assistance manuelle. Il vise à éliminer le travail manuel des tireurs, souvent des enfants, mais cela provoque des résistances sociales.

 

La révolte des Canuts et évolution vers la mécanisation

À Lyon, berceau de la soierie, l’adoption du métier Jacquard mène à la Révolte des Canuts en 1831-1834, où les ouvriers, craignant le chômage, détruisent des machines. Malgré cela, environ 11 000 métiers sont en usage en France en 1812.

Les mécaniques à main ont été longtemps employées par les canuts à Lyon. Plus tard, en 1860 lorsque le métier à la main ordinaire se transforma en métier mécanique intégrant la vapeur puis l’électricité, le métier Jacquard à la main se transforma aussi en métier automatique.

 

L’Ère numérique : Pilotage par ordinateur et CAO/FAO

La perforation des cartes n’est plus nécessaire aujourd’hui sur les métiers Jacquard, qui sont désormais pilotés directement par ordinateur, à l’aide de logiciels textiles de conception et de fabrication assistées par ordinateur (CAO/FAO). Cette révolution, initiée avec l’automatisation des métiers en 1860, s’est intensifiée dans les dernières décennies avec l’intégration de l’informatique. Les systèmes numériques remplacent les chaînes de cartons perforés par des fichiers numériques, permettant une programmation précise des motifs directement via des interfaces graphiques.

Les logiciels CAO/FAO, tels que ceux développés par des entreprises comme Lectra ou NedGraphics, offrent des outils avancés pour concevoir des motifs complexes, simuler leur rendu sur des étoffes virtuelles, et optimiser la production. Cette technologie réduit les erreurs humaines et permet une flexibilité inégalée : un dessin peut être modifié en quelques clics, que ce soit pour changer l’armure ou ajuster la répétition des motifs sur la largeur du tissu.

 

Applications actuelles du tissage Jacquard

Le tissage Jacquard, grâce à son héritage technologique et à son adaptation aux outils numériques, trouve aujourd’hui une place centrale dans de nombreux secteurs textiles. La transition vers les métiers pilotés par ordinateur a permis une production plus rapide et personnalisée, élargissant ses applications au-delà des étoffes traditionnelles façonnées.

  • Mode et Haute Couture : Dans l’industrie de la mode, le Jacquard est largement utilisé pour créer des tissus à motifs complexes, idéaux pour les vêtements haut de gamme. Les soies Jacquard, avec leurs dessins intricats, sont prisées pour les robes de soirée et les accessoires comme les écharpes. Des marques comme Dior ou Chanel intègrent régulièrement ces tissus pour leurs collections, valorisant le savoir-faire français hérité des canuts lyonnais.
  • Ameublement et décoration intérieure : En ameublement, le tissage Jacquard excelle dans la fabrication de rideaux, tapisseries et tissus d’ameublement sophistiqués. Les motifs répétables sont parfaits pour les brocarts et les damas, souvent utilisés dans les intérieurs luxueux.

 

 

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Les bases du tissage

 

Pour comprendre pleinement le tissage Jacquard, il est essentiel de revenir aux fondements du tissage en général. Le tissage repose sur le croisement de deux fils : le fil de chaîne, qui court dans la longueur du tissu, et le fil de trame, qui passe en largeur. Ces fils sont positionnés sur un métier à tisser, où les fils de chaîne doivent être parfaitement parallèles, assurés par des cannes d’envergure, des œillets de mailles (appelés « cafards » à la Croix Rousse à Lyon) et les dents du peigne.

 

Les fils de chaîne

Les fils de chaîne sont tendus longitudinalement sur le métier. Ils passent à travers un peigne qui les maintient en place, et leur positionnement précis permet de créer la structure de base du tissu. Une partie de ces fils est soulevée pour former la « foule », un espace où passe le fil de trame.

 

Les fils de trame et la navette

Le fil de trame est enroulé sur une canette placée dans une navette, qui effectue un va-et-vient entre les fils de chaîne. Ce processus crée le croisement essentiel au tissage, distinguant cette technique du tricot, qui n’utilise qu’un seul fil formant des mailles.

 

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Les armures dans le tissage

Les armures désignent les façons dont les fils de chaîne et de trame se croisent, déterminant l’aspect et la qualité du tissu. Il existe plusieurs catégories d’armures, classées par genre :

  • les armures fondamentales
  • les armures dérivées
  • les armures composées
  • les armures fantaisies
  • les armures factices
  • les armures décoratifs
  • les armures pour tissus doubles

 

Les armures fondamentales

  • Toile ou Taffetas : Croisement d’un fil sur deux, produisant un tissu régulier et solide, souvent utilisé pour les draps.
  • Satin : Passage d’un fil de trame sous un ou plusieurs fils de chaîne, créant de grands flottés invisibles sur une face brillante et l’autre mate.
  • Sergé ou Twill : Technique décalée produisant un effet de diagonale, couramment employée pour les jeans.

 

 


 

Focus : Qui est Joseph-Marie Jacquard ?

Joseph-Marie Jacquard (1752-1834) était un inventeur et tisserand français, originaire de Lyon, célèbre pour avoir perfectionné le métier à tisser Jacquard, révolutionnant l’industrie textile au début du XIXe siècle. Né dans une famille modeste de tisserands, il gravit les échelons malgré des débuts difficiles, apprenant le métier et développant un intérêt pour les mécanismes. Inspiré par les travaux antérieurs de Basile Bouchon (aiguilles), Jean-Baptiste Falcon (cartes perforées) et Jacques Vaucanson (cylindre), il présenta en 1801 un système utilisant des cartes perforées pour contrôler individuellement les fils de chaîne, éliminant le besoin d’assistants manuels sur les métiers à tire.

Son invention, adoptée massivement (environ 11 000 métiers en France en 1812), permit de tisser des motifs complexes plus rapidement, mais suscita aussi des résistances, notamment lors de la Révolte des Canuts à Lyon (1831-1834), où les ouvriers craignaient la perte d’emplois. Reconnu par Napoléon, Jacquard reçut une pension et son nom reste synonyme d’innovation textile. Son système, précurseur des ordinateurs grâce à son concept de programmation via cartes, marque un tournant historique, bien qu’il ait exprimé des regrets sur les conditions des enfants déplacés vers des usines plus dures.

 


 

Source d’information : « Le tissage créateur » de Louise Lemieux Bérubé / Ed. Saint Martin

 

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Image de Elsa Laurent

Elsa Laurent

Designer dans l’industrie textile en habillement et en ameublement, je suis co-fondatrice de Textileaddict.me depuis 2017. J'aime partager mes connaissances et bons plans du textile mode et maison. Mon objectif : permettre aux acteurs du secteur de se mettre facilement en relation pour développer leurs projets.