Brigitte Bardot dans Le Mépris de Jean-Luc Godard (1963)
Devenue iconique grâce à d’immenses couturiers (Yves Saint Laurent, Jean Paul Gaultier, Coco Chanel…) la rayure marinière incarne à merveille l’esprit d’entreprise et le savoir-faire Made in France. Dans l’industrie textile, les marques Armor Lux, Saint-James, Orcival ou Petit Bateau ont fait d’elle leur produit phare. En un siècle, la rayure marinière a accédé au statut de symbole, faisant souffler un vent de liberté et d’impertinence sur la mode. Les choses n’étaient pourtant pas gagnées d’avance pour ce motif qui n’a pas toujours eu bonne réputation…
Rayure marinière : parcours d’un motif marginal devenu uniforme officiel
Obscure et diabolique rayure
Marinière ou non, la rayure n’a pas toujours été populaire. Au Moyen-âge, elle a même un parfum de soufre : on l’accuse de troubler l’ordre divin ! La répétition de lignes parallèles devient une marque d’infamie. La période médiévale réserve les rayures aux parias et aux mal-aimés de la société : criminels, fous, prostituées, lépreux ou bourreaux… Chez les animaux, la rayure est aussi un motif discriminatoire. Il faut attendre la fin de la Renaissance pour que le zèbre, considéré jusqu’alors comme créature du diable, soit enfin réhabilité.
Au fil du temps, la rayure perd son côté « maléfique » mais elle continue pourtant de n’être portée que par les personnes d’origine modeste et les marginaux (domestiques, saltimbanques, prisonniers…)
Liberté, Égalité, Fraternité… et rayures
Jusqu’ici, seul le « petit peuple » portait la rayure. Pendant la Révolution Française, elle devient un motif révolutionnaire : jouant sur sa mauvaise réputation, les dandys et les esprits rebelles de l’époque l’adoptent massivement pour afficher leurs opinions. La rayure devient alors un symbole de leurs revendications : ils trouvent dans ce motif longtemps méprisé le parfait emblème d’une idéologie contestataire et avant-gardiste.
Marins avec tricot rayé, vers 1910 via wikimedia commons
La rayure marinière chez les gars de la Marine
Au XVIIe siècle, des tableaux anglais et hollandais témoignent de la présence de rayures bleues ou rouges sur les tenues des matelots. Dès lors, la rayure s’affiche sur les vêtements des marins les moins gradés sous la forme de pantalons, vestes ou accessoires. Porté par les matelots d’équipage, le maillot de corps nommé « tricot rayé » est confectionné en jersey de coton, et fait par la même occasion office de slip ou de caleçon. À l’époque, le terme « marinière » n’a rien d’officiel et désigne plutôt la vareuse, une chemise assez basique en toile blanche unie, parfois dotée d’un col bateau bleu marine.
Le décret qui fait tout basculer
C’est en mars 1858 que ce fameux « tricot rayé » devient un élément de l’uniforme imposé aux quartiers-maîtres et aux matelots de la Marine Nationale. Un décret fixe précisément ses règles de fabrication : le « tricot bleu de service courant » en mailles doit se composer de fils teints à l’indigo pur, comporter 20 ou 21 rayures indigo sur le torse et le dos et 14 ou 15 rayures sur les manches, d’une largeur de 10 mm et espacées de 20 mm, le tout sur fond blanc. La coupe du vêtement est conçue pour être fonctionnelle sans entraver les mouvements des matelots. Dotée de manches 3/4 pour passer inaperçue sous la vareuse, la marinière se porte près du corps, assez longue pour couvrir le haut des cuisses et jouer son rôle de sous-vêtement. Quant au nombre de rayures placées sur le corps, la légende prétend qu’il correspond au nombre de victoires navales de Napoléon…
Pourquoi avoir choisi les rayures ?
En 1858, ce n’est évidemment pas l’esthétique qui a orienté le choix de la Marine Nationale vers les rayures, mais plutôt le sens pratique. Pour l’historien Michel Pastoureau (« L’Étoffe du Diable, une histoire des rayures et des tissus rayés »), le tricot à rayure marinière répond à des critères de sécurité mais aussi économiques, techniques et même sociaux. Il est à la fois :
– un élément facilement identifiable qui signifie clairement le niveau hiérarchique des matelots,
– un moyen visuel de repérer facilement un homme tombé à l’eau,
– un motif facile à reproduire grâce à des métiers à tisser mécaniques et nécessitant des matériaux peu coûteux, notamment le pigment indigo.
Coco Chanel // John Wayne (1945) // Picasso (photographié par Doisneau en 1952)
La rayure marinière dans la mode : en vogue depuis plus d’un siècle
Après avoir été cantonnée au trousseau de la Marine Nationale, la rayure marinière prend du galon à la fin du XIXe siècle, avec l’essor des premières stations balnéaires. Simple, chic et géométrique, elle devient la coqueluche des touristes et se décline sur les transats, les parasols ou les costumes de bain. Les femmes craquent : l’écrivaine Colette et Coco Chanel sont les premières à adopter la marinière rayée.
C’est d’ailleurs Coco Chanel qui propose les premières versions de la marinière femme dans sa boutique de Deauville en 1913 : le succès est immédiat. La grande Mademoiselle intègre ensuite la marinière à ses collections dès les années 1920.
Une fois encore, la rayure prend un aspect révolutionnaire en devenant un emblème de la libération de la femme dans les années 1950. Elles seront ensuite de plus en plus nombreuses à la porter, surfant sur la Nouvelle Vague comme Brigitte Bardot dans « Le Mépris » ou Jean Seberg dans « À bout de souffle ». Du côté masculin, la marinière trouve aussi de prestigieux ambassadeurs : Boris Vian, Jean Cocteau, John Wayne ou Pablo Picasso, qui en fait l’un de ses vêtements fétiches.
En 1966, Yves Saint Laurent intègre la rayure marinière à son « Navy look » initié avec le caban. C’est ensuite au tour d’un Jean-Paul Gaultier débutant de s’approprier la marinière rayée dès son premier défilé en 1976. En 1983, la collection « Toy Boy » du couturier marque les esprits. Propulsée sur le devant de la scène, la marinière devient l’image de marque du créateur qui ira jusqu’à la transformer en robe du soir.
Aujourd’hui, la rayure marinière est partout : dans nos armoires mais aussi dans l’ameublement, sur les podiums des défilés et jusque sur les maillots de l’équipe de France de football en 2011. On a pu la voir portée par d’innombrables personnalités, y compris par des hommes politiques, notamment Arnaud Montebourg à la une du « Parisien Magazine » en 2012… Désormais affranchi de son lourd passé, ce motif aussi élégant qu’insolent a encore de beaux jours devant lui !
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