Bonneterie à Roanne ©La manufacture de Layette et Tricot
Boucler des fils au lieu de les tisser : voilà l’idée géniale qui a donné vie à la maille ! Vous n’allez certainement pas vous contenter de ce raccourci, certes explicatif mais un peu simpliste au vu des péripéties rencontrées par la bonneterie de Roanne !
Bien que ses origines soient incertaines en raison d’un manque de transmissions écrites, 2 facteurs apparaissent toutefois comme des certitudes dans son développement : le rôle des femmes et l’influence géographique de la région Rhône Alpes. Si la ville de Roanne se démarque tout particulièrement dans l’activité du tricot, c’est qu’elle a su tirer profit d’une tradition textile séculaire.
Des prémices confidentielles à un savoir-faire mondialement reconnu, de l’activité manuelle exercée par les femmes à la mécanisation, de succès en déboires, comment cette industrie a-t-elle dépoussiéré le marché du textile au cours des 2 derniers siècles ?
La Bonneterie, c’est quoi ?
Dérivé du mot bonnet, le terme ne désigne pas seulement la production des célèbres couvre chefs mais englobe indifféremment la fabrication, le commerce, le lieu de production ou la commercialisation de tout article confectionné en maille. Tantôt dessus, tantôt dessous, la bonneterie emmêle un peu nos esprits, si bien que certains puristes revendiquent encore aujourd’hui plutôt l’utilisation du terme générique de « maillerie ».
Portrait de Mary Isabella Grant – Francis Grant, vers 1845 // Le Tricot – Francis Grant, fin des années 1860
Le tricotage à la main
Tandis que l’industrie du tissage s’affiche florissante durant la première partie du 19 ème siècle (15 usines, plus de 4 000 métiers, autant d’ouvriers), le tricotage n’est alors qu’une activité marginale exercée exclusivement par les femmes dans les campagnes environnantes.
Les premières traces commerciales se situent aux alentours de 1855-1860. Pour le compte de petits fabricants, à domicile ou dans les champs, elles exécutent des travaux réalisés au crochet, à l’aiguille, ou à la planche.
Les donneurs d’ordre fournissent la matière première (majoritairement de la laine produite à Tourcoing, Roubaix ou importée d’Angleterre) imposant à ces petites mains, la grosseur des fils, la nature des pièces à réaliser, ainsi que la technique à utiliser. Ils récoltent les articles tricotés lors de tournées programmées, avant de procéder à leur revente. Bien que cette organisation ne laisse aucune place à la créativité, les femmes y voient l’occasion de combler leur temps libre tout en dégageant des revenus complémentaires pour la famille : déjà une petite révolution en soit dans leur émancipation !
1880, Tournant majeur dans la bonneterie à Roanne
Malgré une production encore confidentielle et un faible rendement, Roanne s’impose comme le centre névralgique du tricot en France, reconnu pour le savoir-faire de ses tricoteuses. Ce n’est qu’en 1880 avec l’importation d’Allemagne du 1er métier à tricoter mécanique, « le métier Rachel », que de petits ateliers de tricotage mécanique vont venir fleurir les bords de Loire.
D’une part, la mécanisation libère la main d’œuvre mais elle favorise surtout la pluralité des articles produits : peignoirs, écharpes et mailles fantaisie supplantent guêtres, bas ou mitons d’enfants. Cette diversification sera saluée lors de l’exposition industrielle de 1889, où une douzaine de fabricants roannais, sont récompensés par une médaille d’or. Malheureusement, cette consécration ne suffira pas à limiter la crise dans l’industrie de la bonneterie, pourtant très prometteuse.
Triangle Mulsant, creuset de l’industrie textile à Roanne ©Photo DR
1890-1914 : Crise majeure de toute l’industrie textile
En raison d’une forte concurrence étrangère, d’un manque de modernisation des infrastructures, de l’effondrement du marché et de l’abaissement des prix de vente, les entreprises roannaises sont contraintes de réduire leurs marges et par là même, le salaire de leurs employés. L’ensemble de ces facteurs entraine une crise sans précédent dans toute l’industrie textile. Les grèves ouvrières se succèdent, les mouvements sociaux des tisserands de cotonne, canuts ou autres tricoteuses fragilisent encore un peu plus l’activité et le ralentissement des investissements…
Même si la branche bonneterie est moins impactée que celle du tissage (surtout grâce aux commandes de lainage de l’armée), il faudra attendre la fin de la 1ère guerre mondiale et le début des années 1920 pour entrevoir des jours meilleurs.
La bonneterie dans l’entre-deux guerres
Les années folles sont synonyme de renouveau : l’électrique supplante le mécanique, la soie artificielle remplace le coton, l’engouement pour la confection féminine en maille suscite des vocations d’anciens ouvriers du tissage qui en maitrisent tous les rouages.
En 1926, le slogan « Acheter un métier à tricoter, c’est être millionnaire dans l’année » dénote de cet emballement, mais la qualité médiocre couplée à une surproduction auront raison de ce modèle. Le déclin s’amorce, renforcé par la crise mondiale de 1930. On a su investir massivement, pas qualitativement. L’outil de production s’essouffle, les infrastructures sont vieillissantes. Nouvelle crise, nouvelle guerre, et nouvelle fragilité de l’industrie…
atelier de confection de l’usine Albert Lewinger à Roanne en 1950
Bonneterie à Roanne de 1946 jusqu’au milieu des années 60
L’euphorie de l’après-guerre redynamise le secteur, Roanne devient un véritable pôle du textile avec un CA multiplié par 3 en 1 an ! Cette période voit l’émergence de grands patrons d’industrie textile, tant dans le tissage (Maisons Bréchard ou Deveaux) que dans la bonneterie (Devernois ou Griffon). Ces implantations de grandes entreprises, de fabricants de machines ARCT (Ateliers roannais de construction textile), ou d’usines (France-Rayonne est la plus grande en Europe avec 800 employés) font de Roanne la deuxième capitale de la maille française, derrière Troyes.
La qualité s’améliore, les métiers circulaires unis et jacquard viennent s’ajouter aux métiers cotton, la bonneterie supplante alors le tissage ; tandis que la première compte par centaines l’implantation de petits ateliers, le second voit son nombre d’emplois considérablement chuter (près de – 50% en 30 ans). En 1952, la production roannaise représente 10% du chiffre d’affaires total de la bonneterie en France.
Même si les années 60 subissent une forte baisse des exportations vers les marchés coloniaux, (-38% de 1965 à 1970), la bonneterie tire son épingle du jeu en commercialisant à partir de 1968, la vente de tissu au mètre. Des années fastes qui se prolongeront jusqu’au choc pétrolier du milieu des années 70 où la ville subira une nouvelle fois la récession.
usine France-Rayonne à Roanne dans les années 50
Et depuis pour la bonneterie ?
Dans les années 80, l’industrie roannaise qui avait pourtant surmonté victorieusement plusieurs crises, peine à se réorganiser. La concurrence devient oppressante avec l’émergence des enseignes de grande distribution, les importations croissantes de produits bas de gamme, et des modes de consommation changeants : qu’importe la qualité, pourvu qu’on ait la nouveauté !
Le Plan textile 1982 prendra part au maintien en vie du système textile roannais, dopé par l’arrivée sur le marché des métiers à commande numérique, une révolution technologique salvatrice pour certains. Mais alors que de nombreux grands groupes disparaissent, quelques PME sauront profiter de la modernité de ces équipements pour se diversifier et adopter une production plus réactive : Roanne est fin prêt pour faire face à l’ère de la fast fashion !
Aujourd’hui les marques et industriels Carré Blanc, Devernois, Henitex, La Manufacture de Layette et Tricot (anciennement Jean Ruiz), Le Petit Baigneur, Griffon, Christian Cane, Tricot rem, ou encore Rhodamel font partie des bonnetiers incontournables de l’agglomération roannaise.
©tricot rem
En 2020, délocaliser n’est plus tendance. La force du système textile roannais actuel est sa capacité à combiner équipements anciens et modernes, à exploiter un savoir-faire ancestral conjugué à la précision des nouvelles technologies.
Avec son parc machine diversifié, sa capacité de fabrication industrielle, son aptitude de production très créative, hautement technique ou rapidement renouvelée, la bonneterie Roannaise devrait savoir répondre à toutes les exigences du marché, d’autant que le meilleur des leviers n’est-il pas actuellement l’engouement pour le made in France ?
Retrouvez le bonnetier La Manufacture de Layette et Tricot de Roanne mis à l’honneur de notre concours de motifs textiles 2020 !
Source : Les origines de la bonneterie en France et dans le Roannais, Jacques Poisat, 1982
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