L’histoire de la tapisserie d’Aubusson

L'histoire de la tapisserie d'Aubusson_Textile Addict

Les plaisirs du bal d’après Watteau ©cité internationale de la tapisserie d’Aubusson

 

On aurait pu vous proposer de suivre les traces de la tapisserie d’Aubusson au travers un voyage touristique en partance de la Creuse d’où elles sont originaires, direction les nombreuses capitales mondiales où elles sont exposées. On aurait pu se contenter d’énumérer chronologiquement quelques dates à travers leurs 600 ans d’existence. Dès le matin, ces options trop classiques balayées d’un revers de biscotte, me vient alors l’idée saugrenue de laisser s’exprimer librement les tapisseries au travers une interview certes décalée…mais tellement authentique !

 

 

Que savez-vous exactement de vos origines ?

 

Entre légendes contrefaites et revendications d’appartenance supposées, nos origines demeurent encore aujourd’hui incertaines, plusieurs théories continuent à s’affronter.

La première s’établit en 732 où les Sarrazins, repoussés par Charles Martel, auraient décidé de s’installer dans le Limousin et auraient ainsi grandement influencé les maitres tapissiers.

Une autre hypothèse plus tardive, mais toujours placée sous influence maure, est celle liée à l’exil au XV ème siècle du prince ottoman Zizim, qui aurait implanté des ateliers de tisserands turcs sur les bords de Creuse.

Enfin pour d’autres, le mariage entre le comte de la Marche, Louis de Bourbon et Marie de Hainaut, serait à l’origine de la venue de lissiers flamands à Aubusson et Felletin au XIVe siècle

Finalement une seule certitude, notre paternité officiellement datée, celle des frères Augeraing en 1501.

 

 

 

Quels sont les facteurs qui ont selon-vous favorisé ce choix d’implantation ?

 

Les éleveurs de moutons étaient nombreux dans la région, ils pouvaient facilement valoriser la laine grâce à la qualité des eaux acides de la Creuse, idéales pour le dégraissage et la teinture. L’économie drapière s’est alors progressivement transformée en artisanat tapissier.

 

 

 

Du 15 au 17 ème siècle, la représentation végétale est omniprésente sur les tapisseries, quelles en sont les raisons ?

 

Les prémices des tapisseries d’Aubusson puisent exclusivement leur inspiration dans la nature. D’un point de vue purement esthétique on donne l’illusion de prolonger les jardins à l’intérieur, d’un point de vue purement pratique, ces tapisseries de laine épaisse isolent les murs des demeures et préviennent du froid.

Ces « verdures » au décor sans perspective, sont tour à tour représentées sous forme de millefleurs (petites touffes de fleurs ou de feuilles) ou de feuilles de choux (feuilles plus larges). Seuls quelques animaux, réels ou imaginaires (et au profil plutôt ingrat !) apparaissent parfois. « Millefleurs à la licorne » est sans nul doute la tapisserie la plus représentative de la période. Il faudra attendre l’engouement pour les livres illustrés du début du 17 ème, pour commencer à y voir l’apparition de certains personnages religieux ou mythologiques.

 

 

tapisserie aubusson verdure a feuilles de choux_Textile Addictverdure à feuilles de choux et artistoloches©cité internationale de la tapisserie d’Aubusson

 

 

 

Comment Colbert et Henri IV ont-ils contribué à votre succès ?

 

L’édit royal signé par Henri IV en 1601 vise à limiter les importations de tapisseries en provenance des Flandres ce qui favorise les productions locales d’Aubusson et Felletin. Colbert, alors ministre de Louis XIV, accorde successivement le statut de Manufacture royale aux ateliers d’Aubusson (1665) puis, en 1689, à ceux de Felletin. Ce label autorise les lissiers à orner les tapisseries d’un liseré bleu et à apposer les initiales MRDA (Manufacture Royale D’Aubusson), gage de qualité.

 

 

 

A contrario, comment la religion est-elle intervenue dans le déclin des tapisseries d’Aubusson ?

 

Si à l’époque Felletin est à dominante catholique, Aubusson bascule vers le protestantisme grâce à l’édit de Nantes signé par Henri IV qui autorise la pratique d’une autre religion. Malheureusement, sa révocation par Louis XIV en 1685 poussera nos familles à s’exiler loin d’Aubusson. Durant près d’un siècle, la qualité du tissage et des teintures ne cesse de se dégrader : le savoir-faire s’en est allé…

 

 

 

Finalement, à plusieurs reprises, votre survie sera due à l’engouement du public pour l’art ?

 

C’est un raccourci un peu rapide mais les évènements vous donnent raison. La réforme de la manufacture royale en 1731, combinée à l’arrivée de Joseph Dumons « peintre du Roi » à Aubusson ont été salvatrices. Inspirés dans un premier temps par les œuvres de l’artiste Jean-Baptiste Oudry, les peintres cartonniers vont se succéder et les tapisseries vont progressivement se muer en reproduction de tableaux. Les décors sont plus gais, plus colorés, le succès est au rendez-vous, le rayonnement devient international à partir du 18 ème siècle.

La société privilégie davantage l’aspect décoratif des demeures, un courant qui va se confirmer au cours des 19 et 20 siècles, grâce notamment aux expositions universelles qui vont promouvoir tapisseries murales, tapis ou tissages d’ameublement.

 

 

tapisserie aubusson Joseph Dumons_Textile Addict©Verdure fine aux armes du comte de Brühl – Joseph Dumons

 

 

 

1884, une autre date importante dans votre histoire ?

 

Le savoir-faire des maîtres lissiers est enfin reconnu par la fondation des arts décoratifs qui après Paris (1877), et Limoges (1881), ouvre ses portes à Aubusson 1884. Cet artisanat d’excellence spécialisé dans les tapisseries de basse et haute lisse n’aura de cesse que d’améliorer ses techniques de production.

 

 

 

C’est la collaboration avec un autre artiste qui viendra révolutionner la production durant le milieu du 20 ème siècle ?

 

Jean Lurçat va effectivement rénover le langage de la tapisserie d’Aubusson et moderniser la production. Son univers si singulier, haut en couleurs, libérateur de moralités, rencontrera son public lors de l’Exposition Internationale des arts décoratifs de Paris de 1925. Ce succès insufflera un nouveau courant artistique mais surtout économique auprès des ateliers qui, pour répondre à la demande, multiplieront les embauches.

 

 

 

tapisserie aubusson unesco_Textile Addict©cité internationale de la tapisserie d’Aubusson

 

 

 

Dans quel contexte évoluez-vous aujourd’hui ?

 

L’école a disparu pour laisser place depuis 10 juillet 2016 à la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson. Inscrits depuis 2009 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, les savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson souhaitent aujourd’hui consolider leur place sur le marché de l’Art.

Ce nouveau lieu concentre un vivier de designers, peintres, dessinateurs, photographes, sculpteurs qui font de la tapisserie le moteur fédérateur de leurs créations. Au-delà d’un musée, ce lieu dédié permet rencontres, échanges, expérimentations. Une incursion placée sous le signe du passé, du présent et résolument tournée vers l’avenir.

 

 

A lire :

La tapisserie d’Aubusson : des prouesses techniques

En Lices ! Histoire de la tapisserie française des origines jusqu’au XXe siècle

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Elsa Laurent

Elsa Laurent

Designer dans l’industrie textile en habillement et en ameublement, je suis co-fondatrice de Textileaddict.me depuis 2017. J'aime partager mes connaissances et bons plans du textile mode et maison. Mon objectif : permettre aux acteurs du secteur de se mettre facilement en relation pour développer leurs projets.